CHANGER D’ETAT DE
CONSCIENCE
par Marc-Alain Descamps
Les premières
technologies ont été chamaniques, puis religieuses.
Les
chamans voulaient changer d’état de conscience pour pénétrer dans le monde des
esprits et de l’après-mort. Ils utilisaient le tambour, les chants, les danses
et les drogues …
Les
religions ont utilisé les chants, les litanies, les prières, l’encens, les
jeunes, les insomnies, les flagellations, les cérémonies du culte …
Sur leurs
marges, les mystiques utilisaient des techniques orthodoxes (la monologie ou
prière du cœur de l’hésychasme), soufis (zikhr et derviches tourneurs), yoga
(postures, respirations, méditation, kundalini), taoïstes (taï-chi, kung-fu, tantras),
tibétaines (ermites, toumo, pho-wa), japonaises (budo, zazen, hara) ...
Elles ont
été d’abord secrètes, transmises, seulement après initiation, à des disciples
qui le méritaient. Puis avec l’ère du Verseau, leur connaissance s’est diffusée
ouvertement et a été soumise aux vérifications scientifiques. Pour provoquer
une expansion de conscience, elles prennent la place des drogues
hallucinogènes, qui toutes créent une accoutumance et finissent par détruire
ceux qu’elles devaient libérer.
Voici les
techniques les plus vérifiées.
1.
L’isolation sensorielle. La première de toutes les techniques est le retrait des sens, la coupure
avec le monde extérieur ou l’intériorisation. Le méditant s’installe dans une
posture assise stable et ferme, et les yeux fermés il ne bouge plus. Diverses
expériences sur la concentration ont pu prouver qu’effectivement, le méditant
n’entend plus rien : chez les débutants le message du son parvient encore
jusqu’à la zone auditive du cerveau, mais plus on a d’ancienneté et de
pratique, plus tôt il est arrêté le long du nerf auditif, et aucune message
sonore n’arrive au cerveau.
Une telle
situation est étudiée dans les laboratoires de psychologie expérimentale depuis
des décennies sous le nom d’isolation sensorielle. Des caissons d’isolation
isophones sont utilisés pour les astronautes et des caissons hyperbares en
plongée sous-marine profonde. Enfin en milieu naturel de longs séjours d’isolement
sensoriels ont été réalisés par des spéléologues dans la nuit des grottes.
À partir
de l’invention des « citernes de l’extase » par John Lilly, s’est développée la
mode des caissons d’isolation sensorielle ou tanking. Ce sont des
baignoires à couvercle où l’on flotte sur un liquide très salé, sans entendre
aucun son. Leur rapide désaffection est venue de leur manque d’accompagnement
psychothérapique et spirituel, car l’on ne peut pas espérer remplacer en
quelques minutes une vie d’entraînement mystique, ce qui était pourtant le
secret espoir de tous. On utilise aussi des matelas d’eau ou waterbed. Cependant
ces diverses expérimentations d’isolation sensorielle ont prouvé que cela
produisait rapidement une ouverture et un déferlement des images intérieures.
Mais dans la méditation elles sont guidées par une orientation vers les états
supérieurs de conscience et les images-forces.
2. L’immobilité et la relaxation. Toutes
les voies recommandent de s’allonger, de s’immobiliser et de se relaxer dans
une posture détendue. Ceci a donné lieu à un grand nombre de vérifications
scientifiques grâce aux appareils de bio-feedback ou rétro-action
biologique. À l’aide d’un appareil à bruiteur dont on fait diminuer le son en se
relaxant, on peut induire et mesurer la relaxation musculaire avec un
électro-myographe, la transpiration émotive avec un dermographe, la régulation
des battements du coeur avec un électrocardiographe ou l’obtention des ondes
alpha du cerveau avec un électro-encéphalographe... Ainsi, on a pu mesurer
récemment que les moines bouddhistes tibétains pouvaient en quelques minutes
faire monter leur température entre 44°
et 46° par la technique du toumo. On comprend mieux ainsi
comment peuvent se produire certains des phénomènes physiques qui accompagnent
une extase.
3. L’hyperventilation. L’hyperventilation
se trouve dans les techniques respiratoires de bien des voies, comme la transe
chamanique, le yoga, le soufisme ou l’hésychasme. Son utilisation systématique
est devenue la base de diverses psychothérapies : Rebirth/ Renaissance
de L. Orr ou holotropic breathing de S. Grof. Elle peut induire un
état de transe et faire remonter à la conscience un flot d’images du passé
lointain et oublié (naissance, vie utérine, vies antérieures, expériences
transpersonnelles). C’est une des plus simples techniques corporelles de
l’extase confirmée dans son efficacité pour ouvrir au voyage intérieur. Le
contrôle du souffle est aussi classiquement utilisé par bien des sportifs et
tous les plongeurs en apnée.
4. Le tournoiement. Les rotations accélérées
de la tête puis tourner sur soi-même en décrivant un cercle était la technique
des Derviches tourneurs et des soufis. Mais elle est aussi pratiquée dans
toutes les danses primitives tout autour du monde. La TranseTerpsychore-thérapie,
issue du Cadomblé brésilien, met dans un état de transe où surgissent des
images inconscientes puis des visions ou flashs lumineux. Certaines danses
peuvent aussi préparer un état mystique ou au moins un changement d’état de
conscience.
5. La
répétition verbale ou MANTRA. La
répétition incessante d’une même formule a
un effet puissant pour anesthésier le processus automatique
de production d’idées
obsessives dans l’esprit. À l’origine, il
s’agissait d’invocations, de prières
ou d’appel à Dieu pour se connecter à lui. Le yoga
a rendu célèbre le mantra :
un maître spirituel vous donne une formule sonore qui vous
convient, en général
quelques syllabes de la langue sacrée, le sanskrit. Il a en lui
la force de
milliards de répétitions par des millions de gens. De
nombreux travaux
expérimentaux ont été publiés sur ses
effets entre autre par le mouvement dit « méditation
transcendantale ». Cette invocation protectrice est
certainement une des
techniques les plus efficaces dans les cas rebelles pour se
préparer un jour à
entrer dans la méditation, puis le silence du mental et enfin
atteindre l’état
de vacuité. L’hésychasme ou prière du
cœur orthodoxe permet que ce mantra
chrétien se répète de lui-même, jour et
nuit. Par la suite, des mots profanes
ont été aussi utilisés dans des méthodes de
psychologie pour stopper un
processus de préoccupation obsessif et produire un état
d’apaisement et de
calme.
5. Le
MANDALA ou dessin auto-centré. Un mandala est un dessin centré qui se
déploie autour d’un centre. Son action thérapeutique et de reconstruction de la
personnalité a été redécouverte, expérimentée et recommandée par Jung. Il
existe maintenant des livres de ces dessins qu’il suffit de colorier, un mandala
par jour. On peut aussi en contempler, avec ou sans les initiations appropriées
du Yoga, des Tibétains ou du Tantrisme. Il est aussi possible de s’exercer,
seul ou avec de l’aide, à inventer et dessiner ses propres mandalas, dans un
but thérapeutique ou artistique. Des logiciels informatiques permettent
maintenant de visualiser en trois dimensions les Yantras ou Tankhas et de les
voir comme le font les tibétains. D’autres logiciels font retrouver les dessins
en 3D. où lorsque les deux hémisphères sont connectés, du dessin à plat, tenu à
bonne distance, surgit dans l’espace un objet ou un mot vu en relief au dessus
du dessin.
6. La visualisation. La visualisation d’images
mentlaes nn’est pas
universelle. Toutes les voies sèches et abruptes, comme le T’chan, le Zen ou le
Shivaïsme du Cachemire, s’en méfient absolument, alors que c’est la méthode du
yoga nidra, du bouddhisme tibétain ou des Exercices spirituels d’Ignace
de Loyola. C’est donc à chacun de choisir sa voie d’entrée dans l’état sans
mental.
Cette
technique a eu un grand succès dans toute la psychologie de type américain sous
les noms divers de « pensée positive », « visualisation créatrice », modeling,
autopsychorégulation, symbolic identification, auto-hypnose,
imagination active, programmation mentale ou métaprogrammation, etc. On promet
que, par le réveil des puissances de l’imagination, on va pouvoir programmer
sa vie et ses tendances, comme un ordinateur, et accéder à une nouvelle vie
riche et créatrice. Les résultats sont souvent provisoires ou décevants, car il
y a image et image.La pratique conjuguée de yoga nidra et du Rêve-éveillé
analytique a permis d’en expérimenter les raisons. Tout dépend du niveau
de conscience et de la nature des images. Autant les visualisations de yoga
nidra faites en état de conscience crépusculaire ont une efficacité fulgurante,
autant celles en état de conscience ordinaire ne sont qu’un agréable passe-temps. En Rêve-éveillé, les
images proches de la pensée, de type intellectuel, produites volontairement par
le moi sont totalement différentes des Images-Forces et de celles qui surgissent
toutes seules de l’inconscient. Il faut donc, par un long travail, arriver au
niveau des images de puissance pour qu’elles puissent avoir un effet par
elles-mêmes et nous connecter avec les forces de l’au-delà.
7. Situations paroxystiques et sports de l’extrême. Certaines personnes pratiquent des sports de l’extrême, hors de toute compétition, pour changer leur état de conscience : escalade, surf, courses en altitude, descentes de rapides en canoë, kayak ou bateaux pneumatiques, trekking magique, courses en solitaire de nuit de pic à pic, parapente, saut à l’élastique, descentes d’éboulis, courses dans les bois de nuit sans contourner les obstacles... Dans la détresse de l’inéluctable, on traverse sa peur et l’on atteint un état de calme, de paix et de syntonie. La conscience s’expanse au-delà du corps et surgit “un sentiment d’interdépendance mystique avec le monde extérieur, jaillissant du tréfonds du corps, et se manifestant sous la forme d’une conscience sensorielle aiguë et d’une force relâchée et illimitée” (Schultheis Bob, Cimes, Albin Michel 1988). Cet auteur, ayant atteint lors d’une chute en altitude une véritable extase, a cherché à la retrouver toute sa vie. Dans le désespoir de l’impossible les forces paroxystiques du corps se libèrent et l’on change d’état de conscience. Le temps semble se démultiplier et l’on peut voir lentement arriver les menaces et y parer opportunément avec calme et détachement.
Certains utilisent donc le stress pour invoquer ce pouvoir
impersonnel et obtenir une “adresse omnipotente”. Ainsi en 1972, John Brodie trois-quart arrière des
Forty-niners de San Francisco raconte à Michael Murphy : "Parfois, et de plus en plus souvent, je fais
l'expérience d'une sorte de clarté que je n'ai jamais vue décrite adéquatement.
Parfois, par exemple, le temps semble ralentir de façon étrange comme si tout
le monde se mouvait au ralenti. Il semble que je dispose de tout le temps du
monde pour observer les receveurs et pourtant je sais que les défenseurs
s'approchent de moi aussi rapidement que d'habitude. Je sais parfaitement bien
que ces gars s'en viennent à toute allure. Néanmoins tout ressemble à un film
ou à une danse au ralenti. C'est de toute beauté".
8. Bien
d’autres techniques, issues des voies traditionnelles, sont maintenant l’objet
d’une expérimentation dans le Développement transpersonnel (DT), comme la
musicothérapie, la danse-thérapie, la mise en transe, les sorties hors du
corps, les voyages aux confins de la mort, la luminescence corporelle et la
circulation de l’énergie, la transmutation de l’énergie …
Les
techniques du chant harmonique, des marches sur le feu, du rêve lucide, de l’éveil
de la Kundalini demandent des études plus détaillées (voir la suite)
Références
Descamps
Marc Alain, Corps et extase, les techniques corporelles de l’extase, Guy
Trédaniel éd. 1992