LES IMAGES DU NATURISME

par Marc-Alain DESCAMPS

 

Nous définissons ce terme d’image comme " la vue globale que l’on a de … ", l’idée que l’on se fait, la représentation synthétique, le résumé, la formule que l’on associe toujours à … Ainsi Paris c’est la ville lumière, Toulouse la ville rose et Brest la ville de la pluie … Bien entendu personne n’a dit qu’une image était une représentation exacte, elle peut être pleine de préjugés et de stéréotypes et elle en a forcément puisqu’elle est une simplification du réel. Mais nous avons tous une image des Anglais, des autos Roll-Royces ou du couscous… Heureusement les images changent et évoluent : notre image des Allemands a changé et celle du tabac évolue très vite. Ainsi le mouvement naturiste a eu bien des images au cours de son histoire. Et il faut toujours distinguer l’image que l’on voudrait donner, de l’image que les autres ont de vous.

HISTORIQUE DES IMAGES

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  2. AVANT-GUERRE. Lors de leur apparition dans les différents pays d’Europe, les mouvements naturistes ont paru avoir dans le grand public les mêmes caractères :
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  2. un mouvement réformateur. Ce qui frappé tout d’abord, c’est la demande d’une réforme globale de vie couvrant tous les domaines (habillement, nourriture, logement, ville, transports …). Les critiques constantes contre ce qui se faisait à l’époque étaient assez claires et fortes pour être entendues. Par contre le public a parfaitement saisi qu’il s’agissait de mouvements laïques, qui n’avaient plus rien à voir avec les hérétiques et la contestation religieuse des dix-huit siècles précédents. Il s’agissait de contester les modes de vie et de réformer la société sur place et non de fuir ailleurs.
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  4. un mouvement hygiéniste. C’est surtout des considération de santé qui ont d’abord été mises en avant : lutte contre l’alcoolisme, le tabagisme, l’alimentation carnée, le manque d’ensoleillement par les vêtements et l’habitat, l’atrophie de la peau … et leurs conséquences : la tuberculose, le rachitisme, les scolioses, les diabètes, l’obésité …
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  6. un mouvement de défense de la nature. Ce qui était réclamé était la vie dans la nature ; non pas de bâtir des villes à la campagne, mais d’aérer et d’installer des espaces verts dans les villes. Cette nudité, avec tout ce qui allait avec, se trouvait à sa place dans le biotope végétal, les parcs et jardins. Et cela exigeait la sauvegarde et la préservation des derniers espaces naturels et des espèces naturelles menacées.
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  2. APRES-GUERRE, 1945. Le nouveau mouvement qui se construit devient :
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  2. un mouvement de loisir populaire. Il ne s’agit plus d’une réforme globale de la société, mais d’une compensation durant les temps libres. On mène donc deux types de vie opposés : le travail en ville et les loisirs dans les Clubs naturistes que l’on aménage. Et selon les critiques marxistes à la mode à l’époque, c’est typiquement un " mouvement petit-bourgeois " : on se groupe pour se procurer, s’organiser et partager une résidence secondaire collective.
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  4. un mouvement persécuté et sympa. Les différents scandales liés aux nudistes ont été largement exploités et répercutés par la presse : arrestations, procès, baigneurs peints en bleu par des Corses … Or l’opinion publique est toujours du coté des persécutés. Et tout ceci a été consacré par la série-culte des films avec Louis de Funès " Le gendarme de Saint-Tropez ", qui a rendu ces pauvres nudistes infiniment sympathiques.
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  2. LES HIPPIES, 1968. Pour le dernier tiers du XXème siècle tout bascule avec Woodstock.
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  2. la nudité, c’est jeune, naturel, dans le vent. Les jeunes du monde entier réclament d’avoir le droit de se mettre nu, quand il leur plaît. C’est une expérience à avoir vécu au moins une fois dans sa vie. Il faut OSER. C’est spontané et authentique, mais cela doit se faire dans la liberté : des jeunes nus au milieu d’autres habillés.
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  4. Le nu, valeur refuge de la publicité. Comme on le sait, la publicité s’occupe de tout, mine de rien (politique, morale, éducation …). Il est typique qu’elle n’ait jamais attaqué ou ridiculisé le nu. Partout et toujours la nudité est présentée comme un symbole de beauté, de nature, de santé, d’émotion, de joie, de liberté … Les publicités (en film, TV, affiches, magazines …) ridiculisent souvent les vieux, les patrons ou les religieux, jamais les nudistes.
  • L’IMAGE INSTITUTIONNELLE
  • Or voici qu’en 1996 la Fédération Française Naturiste passe à une publicité institutionnelle. Elle le fait forte de sa reconnaissance en 1983 comme " mouvement d’éducation populaire " (en attendant d’être reconnue " d’utilité publique ") et des différents sondages montrant la nouvelle acceptation par l’opinion publique. De plus à coté des Clubs et Associations non-commerciales, se sont installés des Centres de Vacances, qui l’été deviennent de véritables villes de 10.000 habitants. Une mutation est en train de s’installer lentement mais inexorablement : le nombre de naturistes de clubs décroît régulièrement au profit des vacanciers occasionnels. Mais ces grands centres de vacances demandent une publicité permanente, car le taux de non-renouvellement est important. Alors ce n’est plus le Nu dans la Pub mais la Pub du Nu.

    La publicité institutionnelle pose des problèmes bien spécifiques. Il faut comprendre que toute publicité est symbolique d’un groupe auquel elle veut donner vie (le crocodile de Lacoste, " Bibendum " de Michelin, " Mickey " de Walt Disney , l’Oncle Sam et Marianne). Mais on ne peut pas séparer l’image externe de l’image interne et souvent la collusion est catastrophique. Il faut éviter la sortie d’une campagne publicitaire pendant un période de grève ou d’agitation sociale (" Bougez avec la Poste ", " Tout est possible avec la SNCF ", " Partez d’un bon pneu " peut dire Michelin à ses 3000 employés licenciés, " Vous ne viendrez plus chez nous par hasard " déclarait prophétiquement Total avant sa catastrophe écologique …). Il convient surtout qu’une publicité ne puisse pas être retournée ou détournée, ainsi le " Je veux récupérer mes habits " de Luciano Benetton nu, ne lui a valu comme réponse que " United Colors of Betise humaine ". Toute publicité est donc à la fois représentative et symbolique.

    Par conséquent la dernière campagne de publicité de la FFN joue sur l’image que les non-naturistes ont des naturistes, mais aussi sur l’image que les naturistes ont d’eux-mêmes. Or elle a été plus vue et plus retenue par les naturistes que par les non-naturistes. Elle marque donc l’image que les naturistes ont d’eux-mêmes : tout naturiste n’est pas capable de s’identifier à une femme jeune et belle ou à un bébé. Présenter l’image d’une jeune fille ou d’un enfant, c’est demander à chaque naturiste de s’identifier à une jeune fille ou de se prendre pour un enfant : leur image d’eux-mêmes en serait changée. De plus l’image doit être naturiste et pas celle de la pub habituelle.

    Pour analyser une publicité il faut distinguer le personnage, le cadre, le slogan et le texte. Le personnage peut être seul ou en groupe, en situation de sport ou en famille … Il est certain que les photos dehors, dans la nature ou sur la plage passent mieux que les photos de modèles en studio. C’est tout l’esprit naturiste qui s’oppose à celui de la pub. A quoi bon faire de la pub pour la naturisme, si c’est pour faire comme les autres et trahir sa spécificité et sa différence. Et comme slogan, que faut-il dire ? " Ne portez rien et vous aurez tout, mars 1996 ", " C’est parce que je suis pudique, que je suis naturiste, mai 1997 " ou " C’est bien naturel, c’est naturiste, 1998 ", " le naturisme, des grands moments de liberté ", " le naturisme, la plus simple façon d’être humain " ? Le slogan est peut être la formule la plus importante, car c’est tout ce que le public retient (Seb, c’est bien. Gervais, j’en veux …). Alors pourquoi pas un jour, le meilleur slogan " Naturiste ? Naturellement ! " ? Quand au texte, s’agit-il de présenter " un véritable art de vivre, dans un cadre préservé … "  pour trouver quoi finalement ? Le nudisme peut-il se présenter pour lui-même ou doit-il promouvoir la cause d’un autre (libération de la sexualité, émancipation de la femme, écologie active, progrès social, protection des animaux, Peta, les sports du nu…).

    Echo et choc en retour. La publicité institutionnelle de la FFN ne semble pas avoir eu d’écho, ni suscité de choc en retour. Autrefois le naturisme avait un opposant déclaré, M. J. Dutourd qui prétendait n’éprouver de l’intérêt pour les femmes que si elles étaient recouvertes de pièces d’habillement. Il ne cessait de répéter " la nudité, c’est la barbarie ", alors que les Grecs définissaient au contraire les Barbares par le fait d’être toujours habillés et la civilisation par la liberté du nu. Mais il en était resté à l’ancienne conception du nu-péché égrillard.

    Depuis l’opposition se fait moins directe, plus sournoise. La plus grosse est celle pour laquelle soleil rime avec cancer de la peau, relancée tous les printemps par les spécialistes du cancer. Elle est relayée par la publicité de la marque d’imperméable ramosport : " chic, il pleut ! de toute façon, le soleil, c’est mauvais pour la peau ". Heureusement nous pouvons compter à l’opposé sur les nombreuses publicité des crèmes protectrices de bronzage. C’est l’abus de l’ensoleillement qui est dangereux, son usage est au contraire très bénéfique et les naturistes n’ont pas manqué dès les débuts de mettre en garde soigneusement contre les excès et les dangers des coups de soleil.

    Le second thème est dans une pseudo-protection de l’enfance, qui tendrait à assimiler nudiste et pédophile. (On passe trop vite de pédophile à acheteur de cassettes audio porno, puis à posséder chez soi des photos de nus avec des enfants). On cherche aussi à utiliser des considérations de psychanalystes que l’on déforme. Dans une famille textile, cela peut surprendre un enfant lorsque soudain un jour l’un ou l’autre des parents (ou les deux) se promènent nus, mais pas dans une famille qui pratique régulièrement le naturisme social, comme le précise Françoise Dolto.

    Le troisième est l’ignoble assimilation naturiste-nazi, alors que le mouvement naturiste allemand a été interdit dès l’arrivée au pouvoir des nazis et ses premiers dirigeants mis en camp de concentration et castrés. Les recherches montrent au contraire que des anarchistes et libertaires de gauche s’étaient toujours trouvés dans les débuts du naturisme. (Voir La Montagne de Vérité, Natinfo, juin 99 ). Une variante a été l’accusation d’antihumanisme par B. Menasce (Science et Avenir, 1998), comme si l’on ne pouvait pas aimer à la fois la nature et l’homme. Les naturistes ne repoussent pas la société, le progrès et la civilisation, ils veulent seulement en corriger les excès (sang contaminé, Tchernobyl, vaches folles …). Ils cherchent à compenser la vie trépidante des mégapoles par des loisirs simples à l’état naturel dans la nature. Le naturel et l’inspiration de nature leur paraissent ce qui peut le mieux développer l’épanouissement harmonieux de l’homme. Le naturisme est un humanisme, comme le montre la métaphysique du nu.

    LES FUTURES IMAGES

    Dans les décennies 2000 les futures images du naturisme vont-elles osciller entre le commerce du nu touristique et le nu banalisé ?

    1. Le commerce du nu touristique. Sommes-nous en train de voir s’organiser les futurs supermarchés du nu : " ces endroits où l’on peut voir des personnes nues, tout en restant habillé tout le temps ", c’est-à-dire les grands centres de vacance où l’on déclare pratiquer la tolérance ? Mais la tolérance doit être réciproque : le jour où ceux qui le désirent pourront se mettre nus partout au milieu de gens habillés, on pourra tolérer quelques personnes habillées au milieu de gens nus. Sinon c’est l’escroquerie des fumeurs : tolérez que je sois seul à fumer au milieu de non-fumeurs et je tolérerai quelques non-fumeurs au milieu des fumeurs. Hélas, c’est ce que l’on a connu pendant des siècles, le tabagisme universel actif et passif et l’intolérance des textiles qui vous verbalisent pour " exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public ". On ne peut pas laisser jouer au rugby sur un terrain de foot, ni transformer les piscines en aquarium.

    Dans ces villes de vacances de l’été tout a été conçu pour un usage textile, comme dans une ville ordinaire (commerçants, restaurants, épicerie, terrain sportif, aire de jeux, discothèque, galerie …). Il serait temps que des architectes naturistes créent des centres naturistes où ce soient les habits qui soient déplacés et où tout soit prévu pour toujours vivre nu, jour et nuit. Sinon l’avenir de la France sera celui des USA, où l’on voit ce que sont devenus les Etats Unis Naturistes (pas une seule plage naturiste gratuite, sexe et argent partout).

    2. Le nu banalisé. Pour certains la nudité est une expérience que chacun doit avoir fait au moins une fois dans sa vie, mais c’est tout. Le nu passe inaperçu et n’apporte rien. Le naturisme n’est ni une sagesse, ni une philosophie, ni un art de vivre, c’est rien.

    Finalement il y a beaucoup plus dans la publicité des marques. Certaines s’approchent de l’esprit naturiste avec ce que l’on nomme " le Nu Propre ". Il s’oppose au " nu érotique ", au " Nu porno " très répandu du type des " Particules élémentaires " et au " Deshabillé excitant " omniprésent.

    Alors décernons nos propres Palmes d’Or Naturiste de la Publicité puisque l’on ne l’a jamais fait. Les naturistes tiennent en préalable à préciser que si toutes ces campagnes de pub habituent le regard du public à la vue de l’état naturel du corps humain, aucune n’est encore authentiquement naturiste. Il serait préférable de montrer une femme nue en pleine nature et en action, que posant dans un studio. Il faudrait arriver à montrer des familles et des groupes de tous les âges. Enfin il faudrait surtout éviter d’utiliser des monstres décharnés et cachectiques du type arachnéen ou d’échassier, risquant de favoriser l’anorexie chez bien des jeunes.

    - La Mention Hors-Concours est décernée à EVIAN pour sa constance, son ancienneté et sa diversité. C’est la seule marque à ne pas montrer qu’un top-model nu. Le film de jeune Gitan nu à la recherche de la source pure était déjà une merveille, mais le ballet des bébé-nageurs est devenu un film-culte de la T.V.

    - Premier prix  ex equo : Acqua di Gio de Giorgio Armani pour sa femme nue entrant naturellement dans l’océan avec " une idée de liberté " et Doriance pour son spot TV et ses photos d’une femme découvrant une forêt de pins.

    - Second prix ex equo : Les Soins Solaires Lancaster Suncare " Profitez pleinement du soleil ", le Laboratoire de biologie marine Daniel Jouvance " Chaque jour comme le premier jour ", Cellesse SenseActive de Philips, Samsara de Guerlain, Ophélie de Pierre Cardin.

    - Le Prix de la femme nue pour la constance de leurs campagnes à " La City habille les femmes nues ", à Canderel et Kiraz car les vêtements " on est mieux sans, qu’avec ", So French de Georges Rech et Perrier pour " la nature fait bien les choses ".

    - Le Prix de l’homme nu n’est pas décerné. Encore un petit effort et Kouros d’YvesSaintLaurent y arrivera, suivi par Superga et D&G Dolce&Gamba parfums

    - Prix de la Campagne apparentée : " Plutôt à poil qu’en fourrure " PETA (People for Ethical Treatment of Animals ) et "  Voilà la seule fourrure que je n’ai pas honte de porter !" IFAW(International Fund for Animal Welfare), avec nos félicitations pour les campagnes italiennes et anglaises.

    - Prix de l’humour : Fujifilm " Voici la preuve que Quicksnap photographie de jolis paysages même sous la pluie " (jeune fille nue dans sa douche)

    - Ont été nominés : Natalys 2000, GME salles de bains, Savon Rexona, Obsession de Calvin Klein, First Telecom, XY Informatic, Versace l’art de vivre, Elle et Le Pas suspendu de la Cigogne, 1991.

    La nouvelle image du " nu propre " en publicité, va-t-elle pouvoir évoluer vers une véritable image naturiste, respectueux de l’image de la femme, non dégradant pour l’enfant ou l’animal ? Qu’en pensez-vous ?