MARC-ALAIN DESCAMPS
En cette fin du XXème siècle nous nous trouvons devant une
crise du travail. Pour
certains il ne s'agit que d'une situation conjoncturelle et transitoire due
à la
crise que nous traversons depuis 1974. Nous voudrions montrer ici qu'il s'agit
d'un
bouleversement beaucoup plus profond.
Il n'est pas questions que de la seule crise économique. Elle pourrait
assez facilement
se régler comme on l'a fait pour celle de 1930. Mais cette crise
économique a débuté
avec la guerre du pétrole et derrière se profile la
redéfinition du prix des matières premières. Ces prix
sont encore des reliquats de la situation coloniale et leur
refixation résultera du nouvel équilibre entre les pays
industrialisés et ceux du
Tiers-Monde et du quart-Monde. Il s'agit donc en réalité du
nouvel ordre mondial.
On le voit bien avec un second problème qui est l'harmonisation des
législations sociales.
Les pays défavorisés n'ont aucune protection sociale et ce
qui faisait leur faiblesse
fait soudain leur force, sous la loi d'airain du marché. Ils sont
donc capables de produire les objets manufacturés, ou les services,
à un prix nettement inférieur
et redoutablement concurrentiel. Ce qui développe le chômage
dans les pays riches.
Le désordre de l'économie vient de ce qu'il ne suffit pas de
produire, il faut surtout
vendre. La loi du marché fait que les biens de production peuvent
avoir une valeur
négative. Devant une surproduction, il faut payer pour pouvoir s'en
débarrasser.
De plus par derrière se profile la transformation du travail. On a
longtemps pensé
que la mécanisation et la robotisation ne pouvaient pas réduire
le volume des emplois,
grâce à l'expansion et la croissance continues. Mais l'informatique
a tout changé.
L'on est capable de livrer maintenant des usines entièrement
robotisées, clés en main,
qui produisent en ne générant que très peu d'emplois.
Nous nous trouvons maintenant devant une troisième
révolution
du travail, après celle de l'agriculture, puis de
l'industrialisation. La principale production se
trouve dans la science, les techniques, l'intellectuel, les brevets
industriels
générant des royalities, les services... L'usine n'est
plus l'unique source de production, elle se fait tout aussi bien
à l'hôpital, à l'école, dans les transports,
les télécommunications et les salles de concert. La
nouvelle civilisation post-industrielle
est déjà en marche.
C'est donc la conception même du travail qui est à redéfinir.
Il n'est certainement
suffisant en ce cas de parler de temps partiel ou de partage du travail.
C'est la
notion même de travail qui est le principal enjeu du XXIème
siècle.
Quel va être le nouveau travail et comment vont s'organiser
les entreprises de l'an
2.000 ?
Heureusement l'on voit poindre dès maintenant des mutants et de nouvelles
orientations
sont possibles. L'entreprise d'aujourd'hui s'ouvre déjà à
de nouvelles valeurs. Elle
est un corps vivant à la recherche d'un sens et n'est plus aussi
sûre que le travail et l'argent soient ses fins dernières. Dans
ce changement accéléré se produisent
des mutations et c'est parmi elles qu'il convient de discerner ce que vont
être les
nouvelles valeurs des entreprises de l'an 2.000. Le Transpersonnel nous parait
être
déjà un axe particulièrement novateur et une source
de nouvelles innovations.
LE TRANSPERSONNEL
Le Transpersonnel est fondé sur tout ce qui dépasse la personne
avec la réalisation
des valeurs, les états non-ordinaires de conscience, le holisme ou
prise en compte
de la Totalité... Les recherches actuelles sur la conscience, ses
niveaux et ses
états, commencent à être entendues dans le monde du travail.
Une redéfinition de la notion
de capital ou de richesse de l'entreprise s'est opérée. On
ne prenait en compte autrefois
que tout ce qui était matériel (les usines avec les terrains,
les bâtiments, les
machines, les moyens de transports, le siège social...), puis l'on
est passé à l'argent
(capital, emprunts, crédits bancaires, investissements, placements
spéculatifs...)
pour aboutir finalement aux hommes. Le progrès de la science a fait
valoriser la
recherche, les brevets et les licences, finalement l'accélération
de l'innovation a révélé
que l'avenir d'une entreprise se situait dans le capital créatif de
son personnel.
Et ceci a engendré un bouleversement du management.
L'entreprise taylorienne avec au sommet le petit nombre de ceux qui pensent
pour tous
les autres, au milieu l'encadrement et les surveillants, puis tout en bas
la masse
des exécutants qui réalisent passivement sans savoir ce qu'ils
font, n'est plus viable. L'organisation scientifique du travail a confondu
la rationalisation et l'intensification,
la parcellisation et l'efficacité, la menace et la motivation, la
vitesse et l'efficience,
l'information et la communication. Il a fallu renverser la pyramide (Carlzon
1986).
L'expérience d'Elton Mayo a révélé l'importance
du facteur de groupe autant dans la
motivation et le rendement que dans l'établissement de normes implicites.
Elle a
été à l'origine de l'important mouvement de psychologie
des relations humaines. Il
s'est enrichi de toutes les théories systémiques à partir
de Bateson et de l'Ecole de Palo
Alto. Ainsi ont pu être mis en évidence les dysfonctionnement
dans l'entreprise et
l'existence de pathologies d'entreprise. Elles apparaissent lorsque les
différents
besoins humains ne sont pris en compte et que le système ne peut plus
communiquer préfigurant
le futur blocage et les explosions prévisibles.
L'initiateur de la psychologie transpersonnelle dans le monde du travail
a été Abraham
Maslow (1908-1970). Il a analysé les différents besoins de
l'être humain et a hiérarchisé
les motivations au travail. D'abord il faut satisfaire les besoins physiologiques
(nourriture, sommeil, logement), puis l'on s'occupe de ceux de
sécurité (accidents
du travail, assurances pour les maladies et le chomage, caisses de retraite...).
Viennent après les besoins sociaux d'affiliation (associations, syndicats
et clubs)
et ceux d'estime des autres et de soi (besoin d'un travail enrichissant où
l'on soit reconnu
pour son efficacité). Et l'on débouche sur les besoins
d'épanouissement personnel
qui n'ont été revendiqués que récemment : les
travailleurs demandent maintenant de
pouvoir se réaliser dans le cadre de l'entreprise selon toutes leurs
dimensions (culturelle,
sportive, artistique et même spirituelle...). Cette demande de prise
en compte de
la dimension spirituelle est la plus récente et la plus novatrice.
Maslow a ajouté,
à la fin de sa vie, une dernière catégorie des besoins
: les métamotivations ou Besoins-Etre
(Being-needs
), le besoin d'une vie satisfaisante qui ait du sens (value-life
). Il s'agit d'un dépassement de l'homme par lui-même vers une
transcendance, ce qui
est la définition du dévouement aux valeurs, à cette
occasion il parle de transpersonnel
avec les expériences de pointe (peak-experience
).
La reconnaissance du besoin transpersonnel dans l'homme et dans l'entreprise
est à
la source d'une complète remise en cause dans bien des domaines :
principes et paradigmes,
solidarité, formation, éthique...
LES PRINCIPES DE L'ENTREPRISE
Les principes de l'entreprise ordinaire sont issus du paradigme économique
fondé sur
l'homo economicus
selon lequel l'homme est mû par le seul intérêt
économique, l'appât du gain. On pourrait
tout obtenir avec de l'argent : il suffit d'y mettre le prix. Or justement
l'existence
des valeurs et d'humains mûs par un idéal montre que c'est faux.
En lui obéissant les entreprises ont voulu ignorer l'éthique
et établit le principe : "les affaires
sont les affaires, Business is business
". De là découlent les principes de pouvoir non-partagé,
d'autorité, de hiérarchie,
de cloisonnement, de rétention d'information et la
non-communication.
Or la communication est devenu un besoin vital. On a commencé par
la communication
externe. Le besoin de faire connaître les produits a engendré
la publicité avec tous
ses excès : le refus de la sincérité et de
l'honnêteté favorise la publicité mensongère
et la tromperie de la clientèle. Puis la réclame a découvert
la nécessité de s'adjoindre
les relations publiques et les grandes causes d'intérêt national.
Avec la communication
de masse et les mass-media
on est passé de l'image de produit à celle de gamme, de marque
et à l'image d'entreprise.
L'étude des représentations sociales montre qu'on doit tenir
compte commercialement
de l'image globale d'une entreprise. Puis l'on est passé à
la communication interne, car l'image extérieure d'une entreprise
dépend de ce que diffuse l'ensemble du
personnel. Celui-ci doit être informé pour pouvoir participer.
Il faut donc savoir
ce qu'il pense et lui reconnaître un droit d'expression. On ne peut
plus en rester
à la seule information descendante par circulaires et notes de service.
Les Cercles de qualité,
puis les Cercles de progrès, ont montré la nécessité
d'une communication tous azimuths
(ascendante, latérale et croisée).
Dans un autre domaine la généralisation de la notion de
marché remet en cause le principe
de l'acharnement économique. La productivité à outrance
et la compétitivité sont
mis en échec par la saturation du marché, la chute des cours
et la non-valeur finale. Les produits peuvent avoir finalement une valeur
négative, lorsqu'on ne peut plus
les vendre et qu'il faut payer pour pouvoir s'en débarrasser, comme
dans les surproductions
alimentaires ou des armements militaires.
Enfin on est en droit de se demander si la présence des femmes, de
plus en plus nombreuses
dans les entreprises et accédant progressivement à des postes
de direction, ne va
pas contribuer à faire prévaloir une nouvelle vision féminine
des valeurs.
DE LA SOLIDARITE A LA RESPONSABILITE
Le travail d'équipe est maintenant fondamental dans l'entreprise :
on découvre avec
la complexité des tâches et de produits que l'on ne peut plus
travailler seul. Une
équipe est d'autant plus efficace qu'elle comprend des compétences
très diverses
avec des personnes de formations très différentes. Tout
résultat étant celui d'une équipe,
nul n'est plus en droit de s'en attribuer le mérite à lui tout
seul. D'autant plus
qu'une équipe n'est pas isolée et qu'il faut aussi tenir compte
des autres services
: production, marketing, après-vente, financier, comptabilité,
informatique, approvisionnement...
La création d'un nouveau produit, par exemple, est un travail qui
engage l'entreprise
dans sa totalité.
Ce processus se manifeste jusque dans l'équipement informatique.
Centralisé dans un
service spécialisé et inaccessible, il s'est ouvert à
tous les ingénieurs, puis aux
commerciaux, pour finalement se démocratiser. Alors le besoin
d'interaction a mené
à l'installation d'ordinateurs en réseaux et l'imbrication
actuelle des réseaux entre eux
conduit à l'instauration de noeuds d'information avec toute leur
complexité. Le management
des réseaux demande, en effet, d'articuler des champs de
réalité très différents.
La complexité impose un point de vue systémique : on s'est
enfin rendu compte qu'il
n'existait pas de rationalité linaire de type cause-effet, mais que
les phénomènes
d'interaction, de catalyse et de synergie sont partout. Il faut donc
décoller et
prendre de la hauteur pour bien juger des effets d'un point particulier ("la
vue d'hélicoptère").
La notion de holisme ou de globalité, que promeut le Transpersonnel
avec les images
d'hologramme et de fractales, se trouve en plein dans l'actualité.
L'interdépendance constante exige la reconnaissance de la
responsabilité. La valeur
d'une entreprise se juge maintenant à sa capacité à
déléguer les pouvoirs. Mais réciproquement
chacun se sent solidaire des autres. Une entreprise moderne a besoin de
co-opérateurs et de partenaires. Et même, hors de l'entreprise,
la notion de partenariat
se diffuse en réseaux de partenaires (distributeurs, sous-traitants,
presse, banques,
assurances...).
On aboutit ainsi à la vision de la conscience planétaire. La
politique économique
doit être à long terme : à quoi sert de ruiner
complètement un concurrent, si l'on
doit par la suite le renflouer après l'avoir racheté ? La question
se pose pour les
économies nationales, puisque lorsqu'un état est surendetté,
on est obligé de pratiquer une
annulation de la dette pour éviter une révolution. On
découvre ainsi que le principe
d'assistance vient tempérer celui de la libre concurrence. Et chaque
entreprise est
finalement concernée par ce changement de principe. Il convient en
particulier de former
le personnel en conséquence.
LA FORMATION AU CHANGEMENT
La formation continue en entreprise doit donc se fixer de nouvelles valeurs
: la créativité,
la spontanéité, la prise de risque calculée, l'intuition.
La richesse d'une entreprise étant le potentiel créateur de
son personnel, il faut
former à la créativité. Or la psycho-sociologie a mis
au point de nouvelle méthodes
en découvrant que l'on invente mieux en groupe, que ces groupes doivent
être mixtes
(ingénieurs, psychologues, artistes) et que l'on peut s'observer en
train d'inventer. Ainsi
ce sont diffusés le brain-storming
d'Alex Osborn, la Synectique de William Gordon, Problem-solving
de Sidney Parnes, les tests de créativité de Torrance et de
Guilford, les matrices
de découverte d'Abraham Moles, l'analyse de la valeur de Miles...
La créativité dans
l'entreprise (Aznar/Synapse 1971) est un facteur de renouvellement global,
car l'on
ne peut pas utiliser ces méthodes dans le seul domaine de la recherche
sans qu'elles
imprégnent l'ensemble de l'entreprise.
Les progrès de la science, les transformations des techniques et les
mutations sociales
nous font vivre dans un milieu changeant avec une accélération
parfois vertigineuse.
Les décideurs ne peuvent pas tout prévoir et doivent sans cesse
improviser sur l'instant. La seule réponse possible à
l'imprévu et à l'imprévisible est donc la
spontanéité
; il faut savoir saisir l'occasion et retourner les inconvénients
en avantages. La
notion de spontanéité avait été étudiée
et mise en avant par Moréno, elle s'éduque
pour devenir un style de vie : le management du changement qui inclut son
propre changement.
Ceci exige une prise de risque et sa gestion par l'entreprise. Au point de
vue économique
ont été constitués des venture-capitals
ou placements à risque qui se sont révélés
très profitables car la prise de risque
était calculée. Dans la formation continue, on a pensé,
par une métaphore, préparer
la prise de risque économique par un engagement physique. Il faut
savoir dépasser
ses peurs et faire appel aux forces profondes de son corps. D'où tous
ces stages hors-limite,
qui ont été vulgarisés dans le grand public, à
la fois admiratif et scandalisé :
l'escalade, les plongeons, le saut à l'élastique, les marches
sur le feu... Dans
toutes ces situations de extrême, se libèrent soudain des forces
paroxystiques, qui permettent
de réaliser ce qui auparavant paraissait impossible. Vivre sous la
tente dans le
désert, descendre des torrents en kayak, etc. exigent un engagement
total, corps
et esprit. L'esprit des arts martiaux (Bushido
japonais), appliqué à l'entreprise, apprend non seulement
à utiliser les faiblesses
et les fautes de l'adversaire, mais, qui plus est, à retourner sa
force contre lui.
Tout ceci n'est pas l'oeuvre de la pensée raisonnante ni de l'intelligence
logique
mais de l'intuition. On disait des grands décideurs, qui ont su prendre
les bons
choix au bon moment, qu'ils avaient de la chance ou du flair, puis on a beaucoup
parlé de l'utilisation du coté droit du cerveau. La pensée
intuitive joue un rôle essentiel dans
l'aptitude anticipatrice et dans les processus décisionnels pour savoir
ne pas perdre
ses paris. Certaines études ont montré que les cadres performants
et les grands managers avaient des résultats supérieurs à
la moyenne dans les tests de perception extra-sensorielle
(faculté psi). Les études sur la prise de décision dans
le feu de l'action et le
facteur chance sont à développer. Lorsque l'on doit imaginer
des obstacles qui ne sont pas encore nés, on a besoin d'une faculté
visionnaire qui sort du cadre
rationnel.
L'ENTREPRISE ET L'ETHIQUE
La maxime "les affaires sont les affaires" pouvait signifier que l'on ne
faisait pas
de sentiments en affaire, mais aussi que l'on se situait au-dessus des
régles de
la morale courante.
Récemment est venue la dénonciation de nombreux scandales :
non-respect des régles
de sécurité engendrant des accidents et des morts dans le personnel
ou des catastrophes
écologiques majeures, corruption de fonctionnaires ou d'hommes politiques
pour obtenir des dérogations indues, délits d'initiés
dans des opérations boursières, pots-de-vin
et commissions occultes pour décrocher des marchés, utilisations
de call-girls avec
les gros acheteurs, droit de cuissage à l'embauche et harcelement
sexuel, licenciements abusifs, milices patronales, chantages pour éviter
une plainte dans un non-respect
de contrat, débaucher l'ingénieur d'une entreprise concurrente
pour qu'il amène ses
secrets de fabrication ou l'informaticien avec le listing des clients, espionnage
industriel, écoutes téléphoniques illégales pour
ruiner un concurrent... L'opinion publique
n'accepte plus que certains dirigeants de grandes sociétés
se considèrent comme au-dessus
des lois. L'efficacité économique ne peut plus tout justifier.
Et cela est nouveau car jusqu'à maintenant les entrepreneurs peu
scrupuleux s'entendaient à tourner
les lois à leur avantage, mais ils se heurtent maintenant à
une opinion publique
dont l'exigence va au-dela des lois.
D'après une enquête Korn Ferry Int. auprès de 1.508
dirigeants d'entreprise dans le
monde la première qualité d'un dirigeant de grand groupe est
le sens moral : l'éthique
fonde désormais la crédibilité externe et interne d'une
entreprise. On a trouvé en
effet que les entreprise peu scrupuleuses sur le choix des moyens pour l'emporter
favorisaient
l'utilisation de la fraude à leur égard dans leur personnel
: la corruption engendre
la fraude.
On commence à découvrir l'importance de la culture d'entreprise
(corporate-culture
). Cela débute avec la prise en compte du concept d'identité
d'entreprise : il faut
savoir qui l'on est et où l'on va, avoir une vision globale de
l'entreprise, du tout
et des parties, pour pouvoir s'identifier à l'entreprise et parler
en son nom. Ce
qui exige un projet d'entreprise ou au moins une direction par objectifs.
On découvre alors
que la culture est au coeur du fonctionnement des organisations. C'est un
liant symbolique
qui donne le sentiment d'appartenance, le consensus sur un projet, l'esprit
démocratique et convivial. Plus l'approche identitaire est forte plus
les services peuvent
développer des sous-cultures avec des identités
différenciées. Ce noyau commun, qui
est l'idéalisation d'une expérience collective de succès,
sert de stabilisation et
de défense contre l'anxiété.
Mais cela devient une affaire de coeur, il faut aussi stimuler l'adhésion
affective
et pas le seul intérêt monétaire. Sortir de la
compétition et de la concurrence interne
pour entrer dans la coopération installe dans l'entreprise un climat
de confiance
et d'entr'aide. C'est là que les stages de extrême jouent aussi
leur rôle : on a peiné
et souffert ensemble, affronté des dangers, on se sent unis et
soudés, les fortes
émotions de la remise en jeu symbolique de sa vie se déversent
après sur l'entreprise.
L'entreprise de l'an 2.000 devra pouvoir faire ressentir à ceux qui
ont mal réussi qu'ils
n'ont pas démérité et qu'ils sont toujours solidaires
de l'entreprise.
Les entreprises ont-elles une âme ? (Etchegoyen, 1990). La question
est maintenant
posée. Il faut dépasser la culture d'entreprise, qui est un
vécu passif, pour arriver
au coeur et à l'âme qui sont les principes dynamiques de vie.
L'âme donne accès à
un idéal, qui ne soit pas le gain immédiat mais participe de
l'incarnation des valeurs.
Plus que dans la production d'objet utilitaires, qui peuvent nous encombrer,
le but
de l'entreprise se trouve dans la construction des valeurs.
Le service, le désintéressement et la générosité
sont déjà dans le projet de certaines
entreprises. L'on entend de nouveaux patrons parler de respect de la parole
donnée
et de sens de l'honneur. Et de plus en plus d'entreprises s'ouvrent à
l'insertion
d'handicapés ou la récupération d'anciens détenus.
L'on découvre que l'encouragement des
comportements égoïstes engendre un vrai gâchis dans
l'entreprise et dans la société.
La loi du marché est-elle si différente de la loi de la jungle
? Pour lutter contre,
certains travaillent pour la reconnaissance des valeurs spirituelles dans
l'entreprise.
LES VALEURS DE L'ENTREPRISE
Il faut commencer par ne plus être obsédé par l'argent
et le succès, se détacher du
résultat de son travail. Alors on retrouve sa liberté
intérieure et l'on peut entrevoir
le sens de sa vie. Le voyage intérieur, c'est de partir à la
recherche de son être
profond. L'étude de la conscience humaine mène à la
méditation, à l'état Alpha et l'exploration
du surconscient. La certitude que la pensée est énergie conduit
à remplacer la violence
et la haine par la compréhension et l'amour. Alors devient possible
l'ouverture sur une dimension spirituelle. L'autonomie et la liberté
de l'individu s'engagent
dans une aventure collective dès que l'on dépasse la notion
de personne vers un
transpersonnel. L'entreprise de l'an 2.000 pourra ainsi devenir une oeuvre
d'art
dans la poésie et la spiritualité en intégrant toutes
les dimensions de l'homme.
On peut aussi espérer que la féminisation des entreprises va
leur faire abandonner
progressivement les valeurs viriles de matchisme, de compétition et
de guerre pour
s'ouvrir aux nouvelles valeurs des femmes : la souplesse, le courage, les
sentiments,
l'amour de la vie et la paix. La femme est souple par nature, elle sait changer,
esquiver
et biaiser au lieu de se braquer et s'entêter dans une partie de
bras-de-fer virile.
Elle apporte une nouvelle forme de courage puisée dans l'amour,
l'enfantement, la
vie familiale et l'éducation des enfants. Elle accorde plus d'importance
aux sentiments,
à la considération, à la patience, à la vie
émotionnelle et à l'intuition. Liée à
la vie, elle l'aime et en connait le prix ; puisqu'elle donne la vie, elle
est pacifique et n'est pas un tueur comme l'homme. Le problème actuel
est de savoir si les hommes
vont inculquer leurs valeurs aux premières femmes masculines qui
pénètrent dans les
entreprises ou s'ils pourront acquérir les leurs ?
Pour montrer que tout ceci n'est pas utopique, on peut étudier les
diverses réalisations
qui commencent à s'inspirer des nouvelles valeurs.
Le réseau Briarpatch Network
a été fondé aux U.S.A. vers 1970, comme une
préfiguration des entreprises de l'an
2.000. Il a remplacé les valeurs anciennes de la concurrence
économique sauvage et
de la guerre économique par l'harmonie, la coopération, la
solidarité et la compassion.
Il n'hésite pas à ouvrir des usines dans les ghettos ou les
banlieues défavorisées.
Il groupe plus de 200 entreprises comme Motorola
et a des filiales au Japon, Brésil, en Suède. Leurs régles
sont l'honnêteté, l'intégrité,
la transparence des comptes et le soutien mutuel. Il dispose de sa banque
et de son
cabinet d'avocats qui régle tous leurs différents à
l'amiable, sans procès. Le résultat est là : alors qu'aux
U.S.A. 60% des nouvelles sociétés déposent leur bilan
dans les 3 ans, la moyenne est de 10% dans ce réseau.
Body-Shop
est une entreprise anglaise fondée par Anita Roddick en 1976 où
elle ouvre son premier
magasin à Brighton. En 1992 elle en a plus de 750 dans 40 pays avec
10.000 employés.
Son principe est : "Notre vraie nationalité est internationale". Elle
fabrique des
produits de bien-être et non plus des produits de beauté. Et
elle le fait avec les
recettes traditionnelles de tous les pays (beurre de coco des
Polynésiennes, mile
de Tanzanie, écorces d'orange de Ceylan, huile de bahassu d'Amazonie...)
et non plus
avec les prétendues découvertes de laboratoire. Elle est contre
l'expérimentation animale
(et parfois humaine) qui en est la conséquence. Elle recycle sans
polluer dans le
plus grand respect possible de l'environnement, avec des emballages simples
et économiques. Elle économise les intermédiaires et
paie le meilleur prix aux populations déshéritées.
Elle installe ses usines là où il y a du chômage. Elle
pense qu'il est immoral d'utiliser
l'image d'une belle adolescente pour vendre une crème antiride à
une femme de cinquante ans. Aussi remplace-t-elle les dépenses de
publicité par des campagnes
d'intérêt humain : "Si vous n'êtes pas satisfait du monde,
changez-le", défense de
la forêt amazonienne, aide à Amnesty International,
à la sauvegarde animale, etc. Toute entreprise profitable a pour elle
un devoir envers
l'humanité : elle organise des soupes populaires en Albanie, des
orphelinats en Roumanie,
elle fait vendre son journal par des sans-abris qui gardent l'argent pour
eux... C'est la rigueur de son éthique qui a assuré son
succès, prouvant que rentabilité
et principes moraux ne sont plus antinomiques.
Les Humains associés
se sont fondés en 1985 sur le bénévolat et, animés
par la générosité et l'idéalisme,
ne vendent rien.
Ils reçoivent des principales agences
de publicité des espaces et des affiches pour réveiller la
conscience mondiale par
des campagnes gratuites et spectaculaires : 1985 "Les cinq premières
minutes du monde
conscient", 1987 "L'homme est unique, ne le gâchons pas", 1988 "Et
si l'on parlait
d'amour ?", 1989 "Aux âmes, citoyens !"...
Ces exemples font école, mais le principal danger est la
récupération. Si la vertu
fait mieux vendre et si l'éthique rapporte plus, pourquoi ne pas endosser
l'habit
? Et c'est ce qui peut déjà inquiéter chez certains
patrons qui ne parlent que de
vertu, mais n'ont aucun scrupule à fermer une filiale ou à
ruiner un concurrent. L'éthique
renforce peut-être l'efficacité, mais une éthique, qui
aurait comme seul fondement
l'intérêt, ne serait plus une éthique.
CONCLUSION