MÉMOIRES DE RECHERCHE DE L'INSTITUT :
L'AUTORISATION
NOETIQUE
"Par quels cheminements
peut-on entrer dans un processus d'évolution
conduisant vers un plus être ? "
Par Joëlle MACREZ
Avant-propos
Pendant notre travail de maîtrise
nous avons tenté de montrer que la psychothérapie
et le yoga sont des méthodes éducatives ne reposant
pas seulement sur le savoir mais aussi sur la connaissance
de soi. Le yoga, les méthodes de psychothérapie
ainsi que l'éducation au sens de Krisnamurti partent
du constat que la construction identitaire de la personne,
par identification du soi a un rôle social, constitue
l'origine de la souffrance. Cette identification provoque
une fragmentation de la personne à l'origine des conflits
intérieurs et des souffrances des hommes. Une prise
de conscience de cette fragmentation intérieure mène
à la discrimination intellectuelle et c'est alors que
le cheminement vers la connaissance de soi commence. Nous
avons défini le concept de connaissance de soi comme
signifiant une évolution de la structure psychologique
interne de l'individu lui permettant de découvrir et
d'accepter, peu à peu, qui il est et ce qu'il est.
Ce processus d'évolution provoque un élargissement
de la conscience ouvrant à une meilleure compréhension
du monde et pouvant parfois mener, semble-t-il, vers la spiritualité.
Mon projet de recherche au sein de lInstitut de Psychologie
Transpersonnelle, né de cette constatation, nous a
conduit à poser d'autres questions : comment la connaissance
de soi permet-elle de s'ouvrir à la dimension spirituelle
? Cela est-il possible pour tous les individus ? Quelle est
la place de la spiritualité à l'université
? La connaissance de soi peut-elle s'enseigner ? Est-elle
une priorité dans l'éducation ?
Problématique
La modernité semble nier
la dimension spirituelle chez l'homme alors que l'aspect religieux,
sacré, a toujours été présent
dans toutes les civilisations. Est-ce à cause de la
priorité du rationnel dans les sociétés
occidentales, d'une science qui nie l'irrationnel ou est-ce
parce que l'homme d'aujourd'hui n'a plus conscience de la
dimension sacrée en lui ?
Pourquoi l'homme moderne, malgré
toutes ses inventions et son évolution scientifique
n'a t-il pu résoudre le problème de sa souffrance
? Nous entendons par souffrance cette maladie de l'âme
provoquée par les conflits intérieurs de l'individu.
La problématique du chercheur, son interrogation profonde,
résident dans ce questionnement. Ne peut-on pas tenter
de résoudre le problème de la souffrance humaine
en aidant les hommes à se connaître mieux ? La
vocation première de l'éducation n'est-elle
pas de conduire l'individu vers l'éveil de lui-même
afin qu'il puisse parvenir à son plein épanouissement
? Cela ne passe-t-il pas forcément par la connaissance
de soi permettant de retrouver son unité, de s'ouvrir
à un autre regard sur le monde, à d'autres valeurs
et au sens de l'existence ?
Hypothèses
Mon hypothèse de départ
réside dans la proposition qu'il est possible de vaincre
la souffrance humaine, cette fragmentation interne responsable
des conflits et de l'ignorance des hommes, par la connaissance
de soi. Nous conserverons ici le concept de connaissance de
soi défini comme une possibilité d'évolution
de la structure psychologique de l'individu, l'amenant à
un élargissement de sa conscience et lui permettant
d'accéder à une meilleure compréhension
de lui-même et du monde. Nous faisons l'hypothèse
que cet élargissement de la conscience menant à
une meilleure connaissance de soi et du monde peut également
conduire l'individu vers la spiritualité. Nous définissons
la spiritualité1 comme ce qui pousse l'individu à
la transcendance, à accéder à la plus
haute réalisation de lui-même c'est-à-dire
à ce que nousnommons l'autorisation noétique2.
Nous définissons l'autorisation noétique comme
le processus interne conduisant une personne vers une évolution
d'elle-même la conduisant au dépassement et à
la réalisation d'elle-même.
Il ne s'agit pas d'atteindre un
état de réalisation de soi final, permanent
et définitif mais de parvenir à l'acceptation
de ce qui est et d'être un avec le changement sous toutes
ses formes. Le début de tout travail de connaissance
de soi commence par un éveil, un questionnement et
des interrogations sur la vie, sur le sens de son existence.
Pour tenter de saisir le processus de transformation interne
menant vers l'autorisation noétique, je vais m'appuyer
sur l'histoire de vie de trois personnes reconnues comme étant
parvenues à la plus haute réalisation de leur
existence. Il s'agit de Shri Aurobindo Ghose, de C.G. Jung
et de Krishnamurti.
Carl Gustav Jung
Carl Gurtav Jung est né le
26 juillet 1875 en Suisse, d'un père pasteur et d'une
mère appartenant à une vieille famille bâloise
patricienne qui comptait plusieurs pasteurs. Il passa son
enfance dans un cadre rural, en rapport direct avec la nature,
et reçut une éducation religieuse. A l'âge
de quatre ans, il est séparé de sa mère
qui doit être hospitalisée plusieurs fois à
Bâle. Carl souffre énormément de cette
séparation, souffrance se caractérisant par
un eczéma généralisé. Très
jeune il fait des rêves, rencontre des signes venant
mettre en doute la croyance qu'on tente de lui enseigner et
cela perturbe son équilibre intérieur. Le jeune
Carl entre en conflit, il est en désunion avec lui-même
et cela le pousse à s'interroger sur la religion ainsi
que sur ses modèles familiaux.
C'est un enfant très sensible, très à
l'écoute de la nature et de son monde intérieur.
Lorsqu'il entre au collège, à Bâle, à
partir de sa onzième année il réalise
qu'il est différent des autres enfants et qu'il est
perçu comme différent. Cette différence
va s'intensifier au fil de toutes ses années de collège
et fera de lui un adolescent extrêmement seul, incompris,
avec des difficultés d'adaptation sociale. La souffrance
qu'il ressent, le désaccord avec sa nature profonde
et ce qu'on lui demande d'être, le conduisent à
être très attentif à sa vie intérieure
A travers ses réflexions,
ses rêves, des visions qu'il aura assez jeune le conduisant
à faire une expérience d'illumination et de
grâce, il découvre qu'il possède une double
personnalité : ce qu'il nomme son numéro 1 est
celle qui le pousse à devenir un homme parfaitement
intégré socialement alors que l'autre, son numéro
2, le rattache à l'unité du monde et à
ses plus profonds secrets. Malgré ses difficultés
scolaires Jung fait des études mais hésite pour
choisir sa future profession. Ses rêves vont le pousser
à devenir médecin. Pendant ses études
de médecine il continue cependant de chercher des réponses
à ses questions existentielles sur l'âme humaine
et sur Dieu. Il finit par s'intéresser aux apparitions
d'esprits, aux phénomènes psychiques, au spiritisme,
à l'occultisme, ce qui le rend différent de
ses camarades.
Après s'être heurté au bloc de la tradition
et de la croyance dans son enfance il rencontre maintenant
les préjugés. Ces expériences et l'incompréhension
qu'il rencontre l'amènent à comprendre qu'il
est nécessaire d'entrer dans le moule social, de rester
dans le domaine connu de tous. Peu à peu la personnalité
numéro 1 de Jung s'impose au détriment de son
numéro 2. En lisant un manuel de psychiatrie, lors
de la préparation des ses examens, il a une véritable
révélation de sa future profession. La psychiatrie
concerne les maladies de l'âme et semble être
le lieu de la rencontre entre la nature et l'esprit. En 1900
Jung quitte Bâle pour aller travailler dans un hôpital
psychiatrique à Zurich. Rapidement il s'intéresse
aux travaux de Breuer, Freud, Pierre Janet, etc..., rencontre
Freud en 1906 et s'associe à ses travaux malgré
une certaine réticence pour la théorie sexuelle
freudienne.
L'amitié entre les deux hommes dure jusqu'en 1913,
date à laquelle la rupture se produit, laissant Jung
seul et rejeté de la communauté psychanalytique.
Il a alors 38 ans et cette rupture avec Freud est un événement
très important dans sa vie, un choc le conduisant vers
une période de solitude, de désorientation et
d'incertitude pendant laquelle il se confronte avec son inconscient.
En s'abandonnant et se confrontant avec son inconscient, il
découvre la signification de l'accomplissement des
rites, des sacrifices, a des visions, des rêves éveillés
l'entraînant dans un dialogue avec son inconscient,
découvre que l'inconscient possède certaines
figures apparaissant sous forme de personnages avec lesquels
il peut converser, apprend à rendre conscientes des
images dissimulées derrière les émotions
qui l'agitent et se livre tout entier à un monde étrange
qu'il ne comprend pas et ne maîtrise pas. Un processus
possédant sa propre logique interne commence et Jung
l'observe.
Il réalise également combien le monde intérieur
de l'inconscient est dangereux, pouvant entraîner l'homme
sur les plus hauts sommets de la spiritualité mais
aussi dans les plus bas fonds de l'âme humaine. De tout
cela émerge du sens pour Jung, probablement le sens
de sa vie : la certitude qu'il est saisi et subjugué
par un message qu'il lui faut transmettre. Mais avant de transmettre
il doit complètement comprendre ce dont il fait l'expérience.
La solitude et l'errance psychique de Jung durent de 1913
à 1918. Ce qui l'aide beaucoup à sortir de l'obscurité
dans laquelle il est, sont les mandalas3 qu'il dessine entre
1916 et 1918. Il semble que Jung dessine spontanément
des mandalas, avant même d'en comprendre la signification.
Cela lui permet d'observer les transformations psychiques
qui s'opèrent en lui.
Après la confrontation avec
l'inconscient C.G. Jung se plonge dans l'étude de la
gnose. Les gnostiques l'intéressent parce qu'il suppose
qu'ils ont rencontré, avant lui, le monde de l'inconscient
et de ses images symboliques. Il cherche à connaître
la façon dont ces hommes et ces femmes réagissaient
et comprenaient ces images. Ce travail le conduit vers l'alchimie
qui va devenir un des piliers sur lesquels il va s'appuyer
pour développer son oeuvre. La rencontre avec l'alchimie
est donc essentielle dans la vie de Jung puisqu'elle va lui
permettre de comprendre et d'expliquer le mythe religieux
à partir de l'inconscient, et donc de la psychologie.
Jung voyage beaucoup et constate
que ce qu'il a découvert à l'intérieur
de lui-même, dans la psyché de ses malades et
à travers son étude des symboles, de l'alchimie
et des mythes, est quelque chose d'universel. Pendant cette
longue période qui s'étend de 1913 à
1944, Jung fait l'expérience de la conscience cosmique,
de la non dualité et découvre que c'est le processus
de la réunification des contraires qui provoque une
transformation de la psyché la conduisant vers un élargissement
de la conscience.
A 69 ans, en 1944, Jung fait l'expérience
de la mort suite à un infarctus cardiaque. C'est un
moment très important car pendant la période
où il est inconscient il fait une expérience
mystique. Il décrit une "sortie hors du corps4"
au cours de laquelle il peut apercevoir la sphère terrestre
baignée d'une lumière bleue. Il fait l'expérience
du détachement. A la suite de la rencontre avec la
mort, Jung semble avoir atteint un autre stade de sa métamorphose
intérieure ; après cette période il travaille
beaucoup et écrit ses oeuvres principales en laissant
les choses se faire, sous l'emprise d'une impulsion créatrice.
Jung entrait dans la dernière partie de sa vie avec
une grande sagesse intérieure et une certitude : la
vérité ne peut surgir dans l'acte de la volonté,
dans la lutte contre son destin ; l'homme, s'il veut accéder
à la compréhension du monde et de la vie, doit
accepter son destin et la manifestation de ses intentions.
C.G. Jung et l'autorisation noétique
En étudiant la vie de Jung
nous nous apercevons que l'autorisation noétique, c'est-à-dire
ce qui permet à l'individu d'atteindre sa plus haute
réalisation ne surgit pas d'un coup mais constitue
un processus continu de transformation de soi, processus qui
l'a accompagné tout au long de son existence et auquel
il a été attentif. Il semble cependant y avoir
eu des moments clés, des moments "flash"
qui surgissaient d'un coup et dont Jung n'était pas
responsable. Ces flashes provoquaient une compréhension
entraînant une modification interne, une avancée
du processus, ils semblent avoir été comme faisant
partie du destin de l'individu. Les autres moments décisifs
correspondent davantage à la résultante de choix
successifs que l'on fait. Nous pouvons cependant nous interroger
sur ce qui détermine nos choix, ce qui parfois nous
pousse à faire un choix plutôt qu'un autre :
est-ce la raison ou est-ce quelque chose de plus intuitif
et qui correspond à un instinct auquel nous ne pouvons
que nous soumettre ?
Jung, dès son plus jeune
âge, est conscient de sa différence. Il est en
contact avec son monde intérieur et est conscient qu'il
y a une différence entre ce monde et le monde extérieur.
Ceci va générer de la souffrance, de l'incompréhension
et une difficulté d'adaptation à la vie sociale
et à ses conditionnements.
C'est cette souffrance, cette incompréhension qui font
de Jung un chercheur, d'abord un enfant qui ne comprend pas
les événements étranges dont il est le
témoin, puis un adolescent s'interrogeant énormément
et cherchant à comprendre ses pensées les plus
intimes, et enfin un homme qui passera sa vie à une
tentative de compréhension du monde. On voit, dans
l'existence de Jung, peu à peu se dévoiler cette
compréhension au fil des rencontres importantes qu'il
fait et qui lui apportent des réponses ; au fil du
temps émerge une certaine vision du monde. Carl Gustav
Jung n'a jamais été ce qu'on pourrait appeler
un homme fermé, ne se posant pas de questions et affirmatif
de ce qu'il est, c'est-à-dire certain de son Moi.
Au contraire, dès l'origine il apparaît comme
un être ouvert à tout ce qui l'interpelle, se
posant des questions existentielles sur la vie et le monde
ainsi que sur lui-même. A aucun moment il n'apparaît
comme quelqu'un de sûr de lui mais au contraire ne sait
pas exactement qui il est ; c'est ce qui le pousse toujours
vers son devenir, vers une recherche de compréhension.
Nous pourrions dire que, dès l'enfance, il appartenait
à cette catégorie d'homme que nous pouvons qualifier
de profond, d'existentiel et qui correspond à l'homme
qui doute et qui s'interroge.
On voit bien apparaître dans la vie de Jung une phase
où il tente de rejoindre les hommes fermés,
de se socialiser. C'est la phase où il est en relation
avec Freud. Freud, s'il s'interroge sans cesse sur la vie,
s'il appartient à l'homme existentiel, reste cependant
très ancré dans l'homme fermé tandis
que Jung semble aller vers autre chose, il est pris dans un
mouvement qui le conduit vers une évolution, un processus
de transformation intérieure. Cette transformation
va réellement commencer après la rupture avec
Freud. Jung va s'abandonner à sa véritable nature
: cela va réellement démarrer avec la connaissance
de soi, avec cette remise en cause profonde et cette interrogation
sur sa vie. Les remontées de l'inconscient vont surgir
avec les souvenirs d'enfance ; en accédant à
une meilleure connaissance de lui-même Jung va s'ouvrir,
élargir sa conscience. Ensuite il va, lors de la confrontation
avec l'inconscient, accéder à l'aspect collectif
des choses par l'émergence d'images et de fantasmes
à caractère mythologique et religieux. Il semble
qu'à cette phase de son évolution Jung ait eu
accès à une connaissance ontologique, c'est-à-dire
en dehors de tout savoir livresque, une connaissance qui surgit
de l'intérieur même de l'individu.
C'est alors une véritable création qui provient
de l'intériorité de l'homme qui se produit car
il réinvente le monde, a accès à une
compréhension du monde. C'est une sorte d'illumination,
une compréhension de la vie. En se confrontant avec
l'inconscient l'homme accède à la dimention
mythologique et aux deux dimensions de la vie : la première
concerne le sens du sacré et du bien suprême
qui correspondent à un esprit religieux au sens propre
de ce terme, c'est-à-dire un esprit qui ne s'attache
pas aux dogmes d'une organisation, ni aux croyances, mais
un esprit qui fait l'expérience du religieux. Il est
saisi par lui, par une sorte d'illumination, de grâce
qui le pousse vers un autre regard sur le monde.
L'autre dimension est celle où
l'homme se voit confronté à des démons,
des monstres, à cette partie que l'on nie, qui correspond
au mal et qui, bien qu'étant niée, a toujours
constitué l'ombre du monde et sa nature profonde. Après
cette émergence, ce surgissement de symboles qui vont
provoquer une profonde transformation de la psyché
humaine et une ouverture de la conscience, Jung va comprendre
sa mission sur la terre, le sens de son existence. L'autorisation
noétique commence ici car l'homme accède à
la réalisation de lui-même. Pour Jung cela va
consister en la construction d'une oeuvre, la transmission
de ce dont il a fait l'expérience. Sa vie prend tout
son sens dans cette transmission à la fois à
travers l'oeuvre qu'il construit et dans sa relation avec
ses malades. Pendant une trentaine d'années Jung va
se consacrer à son oeuvre psychologique et à
ses malades sans, me semble t-il, qu'il y ait d'autres grands
moments provoquant une nouvelle ouverture, un nouvel élargissement
de la conscience. Pourtant Jung n'est pas arrivé au
terme de sa métamorphose, de sa transformation.
C'est à 69 ans, trente et un ans après la confrontation
avec l'inconscient, qu'il va accéder à une nouvelle
ouverture. Cette fois c'est à la mort qu'il doit se
confronter pour accéder à un nouveau niveau
de conscience. Lors de sa crise cardiaque, et pendant qu'il
est inconscient, il a des visions qui modifient considérablement,
une fois encore, sa vision du monde. S'il avait bien perçu
que la réunification des contraires en l'individu -
c'est-à-dire le dépassement de la dualité
- le menait vers le Soi, c'est-à-dire le centre de
la personnalité et l'unité, il découvre
en affrontant la mort qu'il y un autre niveau d'ouverture
et qui correspond à la mort de l'Ego, à la mort
du Moi.
Alors l'homme accède à l'unité profonde
de lui-même avec le monde. Jung décrit cette
phase du processus comme un arrachement, quelque chose d'extrêmement
douloureux et qui mène à la mort. Après
cette épreuve, cette nouvelle ouverture de sa conscience,
Jung est un homme des profondeurs, il est en relation avec
l'essence même des choses. Son oeuvre n'est pas terminée
et il l'achèvera mais alors elle va devenir inaccessible
à ceux qui n'auront pas fait l'expérience de
ce dont il parle et c'est pourquoi Jung sera tellement critiqué
et incompris. L'autorisation aura atteint alors un niveau
auquel peu d'hommes sont parvenus et qui s'apparente à
l'expérience spirituelle des grands sages. L'auto-formation
à ouverture spirituelle jungienne apparaît donc
comme un processus qui se développe tout au long des
étapes de la vie. Certains événements
déterminants semblent cependant favoriser ce processus.
Dans l'enfance c'est le sentiment d'être différent,
incompris, qui pousse l'individu à chercher qui il
est et à mieux comprendre son monde intérieur,
ensuite c'est la souffrance provoquée par la rupture
avec Freud. Il y a alors la reconnaissance de tout ce monde
intérieur qui nous fragmente et ouverture, réunion
du conscient et de l'inconscient. Jung nous explique l'accès
au Soi, à la réunion des contraires à
travers la psychologie humaine tandis que d'autres hommes
l'ont fait d'une façon bien différente, à
travers la philosophie, la religion ou le mysticisme.
>> Visualisation
du Tableau "Expérience de C.G. JUNG"
Krishnamurti
Qui donc était Krishnamurti
?
Un jeune Hindou né dans l'Inde du sud le 11 mai 1895.
On l'appela Krishna parce que l'usage veut que le huitième
enfant d'une famille indienne, s'il est de sexe masculin,
porte le nom de Krishnamurti afin de rendre hommage au Dieu
Krishna qui fut lui-même un huitième enfant.
Dès le lendemain de sa naissance le destin du bébé
est fixé par l'horoscope établi selon la coutume
: Krishnamurti serait un très grand homme.
Cette prévision vint confirmer une prémonition
que Sanjeevamma, sa mère, avait eue pendant sa grossesse
lui indiquant un destin exceptionnel pour son enfant. La famille
de Krishnamurti appartient à la caste des brahmanes5.
Son père, Narianiah diplômé de l'université
de Madras est employé dans l'administration britannique
; il respecte profondément la tradition et le jeune
Krishna reçoit, dès sa naissance, une éducation
religieuse. Pendant ses dix premières années
Krishnamurti vit dans une famille unie avec ses frères.
Il est cependant très proche de son jeune frère
Nityananda ainsi que de sa mère avec laquelle il partage
des dons de clairvoyance leur permettant d'entrer en contact
avec une de ses soeurs décédée. La scolarité
du jeune enfant est difficile car il ne présente aucun
don intellectuel mais est plutôt enclin à la
rêverie et à la méditation spontanée.
En décembre 1905, sa mère meurt et Krishna se
trouve privé de toute tendresse maternelle. Son père,
occupé par son travail, arrive péniblement à
faire vivre sa famille et n'a guère le temps de s'occuper
de ses enfants.
En 1907, le père de Krishnamurti
prend sa retraite et propose ses services à la société
théosophique dont il est membre depuis 1882. Il est
engagé comme secrétaire-adjoint au siège
se trouvant à Adyar. Narianiah déménage
et s'installe à Adyar avec ses enfants. C'est là
que le destin du jeune Krishnamurti bascule.
Le mouvement théosophique,
à cette époque, annonce la venue d'un instructeur
du monde, un nouveau Christ apportant l'aide sur la terre
et renforçant la spiritualité que les hommes
ont perdue. L'un des rôles de la théosophie est
de préparer l'humanité à la venue de
ce messie. Krishnamurti est reconnu par Leadbeater6 pour remplir
cette mission. A partir de cet instant la société
théosophique enlève Krishnamurti et son frère
à leur père et Leadbeater initie Krishnamurti
à l'ésotérisme. Le jeune homme est façonné,
conditionné par les théosophes pour devenir
celui qu'ils désirent qu'il devienne et part, avec
son frère, en Angleterre afin de reçevoir une
éducation digne de sa mission .
Krishnamurti et son frère
passent plusieurs années à étudier en
Occident ; Krishna n'est pas doué pour les études
tandis que son frère présente un esprit brillant
et vif.
Les deux frères ne sont jamais
libres, n'ont que très rarement l'occasion de mener
une vie normale avec des jeunes gens de leur âge et
restent ainsi sous l'emprise du mouvement théosophique
pendant de nombreuses années. Krishnamurti commence
à s'affirmer et à se révolter contre
l'autorité des chefs de la société théosophique.
Il semble que cette révolte provienne d'une souffrance
intérieure et d'un sentiment de solitude profond. Krishnamurti,
bien que doux, attentionné et dénué de
tout égoïsme, possède toutefois un sens
aigu de l'indépendance. En voulant aliéner sa
nature profonde aux doctrines théosophiques on l'oblige
à ne pas respecter sa vraie nature, on le prive de
la liberté de penser et d'agir par lui-même.
C'est sans doute ce conditionnement total qui génère
un conflit aigu dans l'âme du jeune homme ainsi qu'une
immense souffrance et une grande solitude. Son esprit d'indépendance
ne pouvant pas se manifester extérieurement, Krishnamurti,
dont la tendance naturelle est déjà d'être
un être profond, va s'intérioriser et développer
sa vie spirituelle à travers la méditation.
Krishnamurti est vénéré par les adeptes
de la théosophie ; partout où il se rend il
est adoré comme un Dieu mais jamais le sentiment de
vanité ne se développera en lui. Au contraire,
toute cette adulation lui fera prendre conscience de l'aveuglement
des êtres humains et de leur endoctrinement, de leur
aliénation à un mouvement, à un homme,
à une idée et les poussant à adorer un
homme qu'ils ne connaissent pas. Un sentiment de révolte
va donc surgir de toute cette mascarade, de cette souffrance
puissante qui tourmente son âme assoiffée de
liberté et de compréhension. Les deux frères
effectuent de nombreux voyages et Nitya, atteint de la tuberculose,
a besoin d'un grand repos dans un climat favorable à
la maladie. Le secrétaire général de
la société théosophique aux États-Unis,
M. Warrington, va proposer aux deux frères un séjour
près de Los Angeles dans la vallée d'Ojai.
Le 17 août 1922, six semaines
après son arrivée dans la vallée, Krishnamurti
vit une expérience mystique d'une grande intensité
qui bouleverse sa vie et le conduit à la joie et à
la félicité. Krishna atteint l'état de
samadhi7 et est transformé par cet état de plénitude
totale. A la suite de cette expérience Krishnamurti
sait comment il doit diriger sa vie car sa mission lui a été
pleinement révélée : aider les autres
sans les conditionner. Une longue et intense période
de création poétique va suivre cet état
et tous les écrits de Krishnamurti remontant à
cette époque sont d'une grande beauté, imprégnés
de l'expérience transcendantale de l'âme. Krishnamurti
nous y parle de sa vision du monde et de son amour pour le
divin.
Cependant Krishna est toujours sous l'emprise du mouvement
théosophique et continue de parcourir le monde tout
en s'occupant de Nitya dont l'état n'est pas brillant.
Il pense cependant que la vie de son jeune frère sera
épargnée car les théosophes affirment
que Nitya doit le seconder dans sa mission. Le 13 Novembre
1925 Nitya meurt à Ojai alors que Krishnamurti est
sur un bateau se dirigeant vers l'Inde. C'est Mme Besant qui
lui apprend la nouvelle et le choc est terrible. Il apprend
qu'il faut accepter d'être seul au monde, que l'attachement
est source de souffrance et qu'il n'est pas l'amour. Les bases
de son futur enseignement prennent leurs racines dans l'expérience
divine vécue à Ojai ainsi que dans le choc provoqué
par la mort de son frère.
C'est quatre ans après la mort de son jeune frère
que Krishnamurti trouve suffisamment de ressource en lui-même
pour dissoudre le mouvement de l'Étoile d'Orient, mouvement
créé pour lui, dont il est le chef, et quitte
définitivement la société théosophique.
Cet événement essentiel dans la vie de Krishnamurti
se produit lors de l'ouverture du camp annuel d'Ommen8, le
3 août 1929. Il y prononce un discours dans lequel il
exprime tout ce qu'il a sur le coeur.Tout son discours est
un appel à la prise en charge de soi et à l'autonomie,
il demande que l'on cesse de toujours chercher à l'extérieur
de soi, auprès des sages et des organisations, ce qui
se trouve à l'intérieur de nous-mêmes.
Pour accéder à la libération il faut
comprendre, dépasser la souffrance et cela passe par
la connaissance de soi.
A partir de cet instant et pendant
toute sa vie Krishnamurti s'emploie à essayer de délivrer
l'homme de ses peurs et des ses aliénations. Il organise
ce qu'il nomme des causeries et sans cesse, individuellement
ou collectivement, que ce soit en Inde, en Europe ou aux États-Unis
il s'adresse aux hommes, tel un éducateur qui tente
désespérément de faire comprendre à
ceux auxquels il s'adresse, quelque chose dont il a fait l'expérience
mais qui est intransmissible par les mots et dont la compréhension
intellectuelle ne permet pas de saisir toute la portée
et toute la vérité, quelque chose dont il faut
faire l'expérience soi-même pour parvenir à
la comprendre, l'intégrer et la vivre.
Krishnamurti et l'autorisation
noétique
Krishnamurti, dès son plus
jeune âge, est décrit comme un enfant éveillé
au sens spirituel du terme. Il est possible de distinguer
trois grandes périodes dans sa vie et dans le processus
interne le menant vers la plus haute réalisation de
lui-même.
- Une période allant
de sa naissance jusqu'à 1922 et
que nous qualifierons de période religieuse. Les quatorze
premières années de sa vie Krishnamurti fut
soumis aux habitus de la culture indienne au sens le plus
classique du terme.
Enfant d'une famille de brahmanes il reçut l'enseignement
traditionnel de la religion hindoue et subit l'influence d'une
mère très portée sur l'occultisme. Il
est alors immergé dans l'imaginaire indien très
axé sur la religion.
Entre sa quatorzième et sa vingt-septième année
il va être conditionné par la société
théosophique et être initié aux états
modifiés de la conscience ainsi qu'aux expériences
psychiques.
Nous pouvons dire que durant les 27 premières années
de son existence Krishna vit dans un monde ésotérique
auquel il semble adhérer malgré une très
grande solitude et une souffrance intérieure qui ne
fera que croître, amenant peu à peu des questions,
des doutes.
Ces doutes, ces questions le feront peu à peu progresser
vers lui-même et vers une quête de réponses.
- La seconde période
s'étend de 1922 à 1925.
Nous l'avons vu, en 1922 Krishnamurti
vit une expérience spirituelle nouvelle le menant vers
la connaissance de l'unité, de l'état cosmique,
de la non-dualité et l'expérience de visions,
de sorties hors du corps.
Ceci semble correspondre à une expérience spirituelle
très importante le menant à affirmer que plus
rien ne sera jamais comme avant. Cette expérience,
décrite pour l'essentiel comme l'éveil de la
kundalini9,est accompagnée de ce que Krishnamurti nomme
le processus, c'est-à-dire de fortes douleurs à
la base de la colonne vertébrale et à la nuque.
Ces douleurs se manifesteront régulièrement,
tout au long de sa vie, et semblent être apparues à
chaque fois que Krishnamurti vivait un état d'illumination.
Le processus reste un mystère dans la mesure où
il semble être le seul mystique à avoir décrit
ces sensations de douleurs à un moment où, d'habitude,
les sages sont libérés de la souffrance. Cette
seconde période le conduit vers une conscience illuminée
et est accompagnée d'une phase créatrice durant
laquelle Krishnamurti écrit de nombreux poèmes.
Le processus interne de transformation de la conscience a
soudainement changé de niveau ; Krishnamurti décrit
cette modification comme sans relation de causalité
avec les diverses "initiations" auxquelles il fut
soumis par les théosophes.
Nous nous interrogeons cependant sur cette réflexion
reprenant le débat entre différentes écoles
spirituelle bouddhiques sur l'illumination subite ou graduelle.
Il semble évident que l'illumination apparaît
subitement et l'éveil est simultané, mais, il
apparaît également important de rappeler que
Krishnamurti a subi toute une "éducation"
durant laquelle il a, graduellement, acquis un certain nombre
d'expériences et de savoirs, le préparant à
un tel éveil, même si celui-ci semble survenir
d'un seul coup. Rappelons également qu'au moment de
cette expérience, Krishnamurti pratiquait la méditation,
le yoga et récitait des mantras10.
Dire qu'il n'y a pas eu de préparation à ce
qu'il a vécu me paraît irréaliste et Krishnamurti
lui-même est contradictoire lorsqu'il affirme qu'il
n'y a aucune relation causale entre l'événement
d'Ojai et l'enseignement reçu par les théosophes.
Le conditionnement infligé par les théosophes
l'a conduit vers une très grande souffrance et une
très grande solitude ; n'est-ce pas cette souffrance
qui l'a conduit vers la pratique de la méditation et
du yoga ? N'est-ce pas cette extrême blessure intérieure
qui a provoqué des doutes ?
Krishnamurti n'était-il pas, à cette époque
de son existence, en grand questionnement intérieur
sur le sens de sa vie ? N'effectuait-il pas une recherche
solitaire sur lui-même ? Il dit lui-même que la
pratique de la méditation l'a conduit à une
meilleure compréhension de certains événements
de son passé.
Ne peut-on pas poser l'hypothèse que l'endoctrinement
théosophique l'a poussé jusqu'au bord ultime
du désespoir et de la souffrance, que de cette souffrance
un questionnement intérieur est né, une quête
de sens menant vers la pratique de la méditation, vers
un cheminement intérieur ouvrant à la connaissance
de soi et conduisant à l'expérience spirituelle
?
Cette hypothèse semblerait contredire les écoles
dites "gradualistes" reposant sur l'accumulation
de pratiques et d'une culture spirituelle pour, ensuite, s'éveiller
soudainement. Elle développerait l'idée que
c'est la souffrance, la quête de la connaissance de
soi qui conduisent vers l'éveil ou un changement de
niveau de conscience menant vers l'ouverture spirituelle.
Bien évidemment la connaissance de soi est graduelle
dans le sens où elle s'effectue peu à peu, elle
ne repose cependant ni sur l'accumulation de connaissances,
ni dans l'apprentissage, mais plutôt sur la perte de
ce que l'on connaît et sur le désapprendre afin
d'aller vers ce qu'il y a au-delà des conditionnements.
Se dépouiller de ce que l'on croit être et croit
savoir, pour laisser l'être véritable se dévoiler.
En ce sens, il serait peut-être possible de dire que
l'éveil de Krishnamurti est "subit" et que
c'est seulement après cet éveil qu'il a, graduellement,
eu accès à ce qui lui était arrivé
?
- La troisième période
commence en 1925 et va jusqu'à
la mort de Krishnamurti. Cette troisième période
survient à la suite du choc de la mort de Nitya. Krishnamurti
fait alors l'expérience du renoncement radical et de
l'acceptation. Renoncement de ses croyances que son frère
ne pouvait pas mourir car il était utile à sa
mission, et qu'il aurait dû être prévenu
de cette mort par les maîtres avec qui il était
en contact.
Tout n'était donc qu'illusion ! Tout ce que les théosophes
lui affirmaient depuis toujours était faux ! Le choc
de cette révélation peut conduire l'homme au
bord de l'abîme, du néant et il fait alors l'expérience
du réel, de linsupportable.
Dans cette confrontation avec le réel il y a mort des
croyances et des illusions . Ce renoncement est extrêmement
douloureux ; l'homme est seul dans ce processus de renoncement
qui débouche également sur une acceptation de
ce qui est, de la vie telle qu'elle est. C'est une prise de
conscience qui fait, une fois encore, changer le niveau de
conscience de l'individu.
Il accède alors à la véritable sagesse
et à une authentique compréhension de lui-même
et du monde et fait l'expérience du sacré, de
cette " autreté ", ce sans nom,
cette "otherness" qui transforme radicalement sa
façon d'appréhender la vie.
A la suite de cette expérience Krishnamurti prendra
encore quatre années avant de se séparer définitivement
des théosophes et assumer pleinement sa vie et sa responsabilité
de citoyen du monde.
Après la dissolution de l'Etoile d'Orient, il entre
vraiment dans la liberté le menant à un accord
total de lui-même et du monde. Il n'y a plus alors aucune
notion de croyance mais une rupture radicale avec l'idée
de la religion.
Krishnamurti ne pose plus la question de Dieu, la question
de la création comme s'il avait compris que tout aurait
toujours été et qu'il y aurait un processus
naturel de la vie permettant la transcendance de limmanence.
Juste après l'expérience
de 1925, Krishnamurti vivra encore une période extrêmement
créatrice durant laquelle
il tentera d'exprimer, à travers la poésie,
le sans nom, l'otherness, puis il cessera d'écrire
et se consacrera à l'enseignement.
Ce que Krishnamurti ne cesse d'affirmer à partir de
1929, c'est qu'il faut se libérer de nos conditionnements,
de tout ce qui nous construit et qui est illusions, croyances,
préjugés, pour accéder à la liberté.
Apprendre à se connaître est le seul moyen de
parvenir à découvrir qui nous sommes derrière
le mur des conditionnements. C'est seul que l'homme doit cheminer
; personne ne peut faire le chemin à sa place. Il doit
mourir à ce qu'il est pour renaître différent,
vrai, authentique et faire l'expérience de sa vérité,
de sa liberté et de sa compréhension du monde.
Cela ne peut se produire sans ce
renoncement total, radical de tout ce qui a été,
du passé et sans une acceptation de ce qui est dans
l'instant, d'instant en instant. L'enseignement de Krishnamurti
est construit sur le doute et le questionnement. Il faut sans
cesse tout remettre en doute et questionner ce qui surgit.
Ce questionnement, essentiellement
philosophique, permet une progression vers soi-même
; alors la personne se met en quête de réponses,
devient un chercheur de vérité. Krishnamurti
a développé une pensée complexe11, une
pensée paradoxale portant en elle les germes de la
tolérance.
C'est en reconnaissant ses limites, l'incomplétude
de ce que l'on affirme comme vérité, tant dans
la science que dans la religion ou dans tout autre domaine,
que l'on peut progresser dans la compréhension de soi-même
et du monde.
>> Visualisation
du Tableau "KRISHNAMURTI"
Sri Aurobindo Ghosh
Sri Aurobindo naît le 15 août
1872, à Calcutta, en Inde, d'un père médecin
et d'une mère qui était la fille du chef dun
mouvement religieux engagé politiquement et considéré
comme le grand-père du nationalisme indien.
Sri Aurobindo est élevé
dans une atmosphère anglaise. En 1879, alors quil
a sept ans, son père décide que ses enfants
doivent recevoir une éducation entièrement européenne
et les emmène à Manchester où ils restent
en pension chez un pasteur anglais et sa femme. Les trois
frères restent avec les Drewett jusquen 1885
puis vivent seuls, de 1887 à 1889 dans un quartier
de Londres dans des conditions d'extrême pauvreté.
Pendant cette période, lorsqu'il a 10 ans, Aurobindo
a la vision qu'il jouera un rôle important dans une
révolution. Il quitte l'Angleterre le 12 janvier 1893
après avoir fait de brillantes études et arrive
à Bombay le 6 février 1893.
En posant le pied sur la terre indienne, après 14 ans
d'absence, il est touché par la grâce et connaît
une expérience spirituelle. Dès son arrivée
en Inde, en raison de sa formation occidentale, il assume
des fonctions administratives et éducatives à
Barodâ. Etant particulièrement doué pour
les études il continue d'étudier et apprend
le bengali tout seul ainsi que le sanskrit, ce qui lui permet
d'accéder aux grands textes sacrés indiens.
Durant la première année
de son retour, en 1893, il fait une autre expérience
spirituelle. Pendant cette expérience il a la vision
du divin en lui qui le protège, il fait aussi l'expérience
de la non-séparativité entre la divinité
et lui-même.
Très vite, d'ailleurs, il se considère comme
étant aux ordres du divin. Les ordres de Dieu lui demandent
de libérer l'Inde. Il entre alors dans l'action par
la publication d'articles politiques attaquant le Congrès
National qui se leurrait et leurrait la nation en passant
pour le libérateur virtuel du pays. Il souhaite parvenir
à un équilibre entre la culture moderne et l'idéalisme
de l'ancienne philosophie indienne afin que celle qu'il appelle
"la Mère", c'est-à-dire l'Inde, puisse
servir de guide à l'humanité toute entière.
C'est par cette synthèse de la modernité et
de la spiritualité qu'il est peut-être possible
de sauver la civilisation moderne de son avidité d'industrialisation
qui provoquera sa destruction.
Il pense qu'une telle tâche ne peut s'effectuer sans
l'intervention d'un pouvoir supérieur, une intelligence
universelle pouvant le soutenir dans son travail et son action
; c'est pourquoi il recherche l'aide de yogis pouvant l'aider
à acquérir la force intérieure qui lui
permet de réaliser son oeuvre politique. C'est par
la fréquentation de grands yogis qu'il reçoit
ses premières leçons de yoga. Aurobindo mélange
la politique et la méditation et il mène ces
deux activités de front sans aucun problème.
Ainsi en cherchant à obtenir la force intérieure
pour réussir dans sa mission de libérer l'Inde,
Aurobindo explore le monde caché de la spiritualité,
en fait l'expérience. Il comprend que l'homme doit
suivre son chemin seul, en payant de sa personne, et qu'il
ne doit pas s'attacher à un gourou. Ce qui semble le
choquer c'est ce refus du monde des yogis lorsqu'ils ont atteint
l'état de libération. Ils semblent planer dans
un univers de béatitude, parfaitement détachés
de ce qui se passe dans le monde. Pourtant, dans les textes
sacrés qu'il étudie, il lit qu'il n'y a pas
de distinction entre Dieu et le monde, entre Dieu et la Vie.
Il découvre le secret de ces livres qui s'était
comme perdu et qui réside en la réconciliation
entre les extrêmes, la lumière et les ténèbres,
l'esprit et la matière. C'est en écrivant dans
un journal dont il assume la direction, le Bandé Mâtaram,
qu'il transmet son désir ardent pour la libération
de la Mère.
Le gouvernement anglais essaye d'arrêter Sri Aurobindo
et ses amis sous différents prétextes et, notamment,
sous celui de sédition, mais il a des difficultés
à prouver qu'il est le responsable du Bandé
Mâtaram. Au milieu de toute l'agitation politique que
suscitent ses propos, Sri Aurobindo, au début de l'année
1908, rencontre, grâce à son frère Bârin,
un maître yogi : Vishnou Bhâskar Lélé,
qui, dans sa jeunesse, avait été un nationaliste
acharné.
Ce dernier conseille à Aurobindo d'arrêter la
politique trois jours et de rester avec lui. Pendant ces journées
il vit des expériences spirituelles le menant à
l'éclatement de l'ego.
Le 5 mai 1908 il est jeté
en prison suite à des attentats. Dans cet isolement
total et des conditions de vie inhumaines, Sri Aurobindo renforce
encore sa foi en un pouvoir supérieur. Il reste un
an emprisonné pendant lequel il est continuellement
en contact avec la spiritualité et ce qu'elle lui enseigne
de l'intérieur.
C'est là, dans une solitude totale, que se posent les
bases de tout son travail ultérieur sur la conscience
humaine et de ses oeuvres sur le yoga. Le 5 mai 1909, pendant
son procès et alors que tout laisse penser qu'il va
être condamné à la peine capitale, son
avocat, Chittaranjan Dâs, fait un discours qui bouleverse
complètement le cours des événements
: Aurobindo est acquitté.
Après sa libération Aurobindo reprend ses activités
politiques et ses discours à travers un nouveau journal
: le karmayogin. Ses articles sont désormais toujours
porteurs d'enseignement spirituel, il tente d'y expliquer
le fonctionnement de la conscience nationale et d'y décrire
un système idéal basé sur une vérité
intérieure essentielle. Cependant, au début
de l'année 1910, des attentats sont organisés
et les mouvements de répression du gouvernement menacent
Sri Aurobindo.
Il entend une voix intérieure qu'il connaît bien
lui indiquer de partir à Chandernagor, ce qu'il fait
immédiatement. Il reste quelques semaines à
Chandernagor puis la voix d'en haut se manifeste de nouveau
et lui ordonne de se rendre à Pondichéry12.
C'est son dernier voyage et la fin de ses activités
politiques.
A 38 ans, conscient que tout ce
qu'il a effectué jusque là va être continué
par d'autres et mènera à la liberté de
l'Inde, il se consacre complètement à l'enseignement
spirituel ainsi qu'à des recherches sur la conscience
humaine. Sri Aurobindo et les quelques disciples qui se groupent
autour de lui vivent dans une grande misère pendant
les premières années à Pondichéry.
Entre 1914 et 1920 il écrit énormément
et publie presque la totalité de son oeuvre c'est-à-dire
près de cinq mille pages. Puis, après ces six
années, il considére qu'il a suffisamment écrit
et se consacre à sa correspondance avec ses disciples
ainsi qu'à l'épopée faite de 23.813 vers
: Savitri13, que l'on peut considérer comme un cinquième
Veda14 dans lequel Aurobindo transmet l'histoire de l'évolution
terrestre et universelle ainsi que sa vision de l'évolution
future.
Le 29 mars 1914 vient le rejoindre
celle qu'il va appeler la Mère, qui va partager sa
vie et continuer son oeuvre après sa mort.
Aurobindo et la Mère n'ont
cessé de travailler sur la conscience humaine afin
d'aider à l'évolution de la vie et à
la transformation de l'homme. Ces travaux sont répartis
en trois grandes phases : la première phase que l'on
peut situer entre 1920 et 1926 et que les disciples appelaient
la "période brillante", consistait en une
vérification des pouvoirs de la conscience. Il s'agit
d'une vérification par l'expérience des possibilités
de la conscience humaine par rapport au corps.
En 1926 s'ouvre la deuxième phase qui est une phase
de travail sur le corps et dans le subconscient15. En affrontant
le subconscient, Aurobindo semble affronter ce que Jung appelait
l'inconscient collectif et qui contient toute l'histoire du
monde.
Cette phase de travail s'étend jusqu'aux environs de
l'année 1940 et pendant toutes ces années Sri
Aurobindo et la Mère semblent avoir fait l'expérience
de tout ce qu'il y a de plus horrible dans l'humanité,
ils descendirent très bas dans l'obscurité de
l'âme humaine puis se trouvèrent comme arrêtés
devant des résistances empêchant la progression
de leur travail.
A la fin de cette deuxième phase de leur travail, Aurobindo
et Mère, découvrirent qu'en se confrontant à
leur subconscient personnel16 ils avaient débouché
sur un subconscient collectif et que, de ce fait, ce n'était
pas par un travail individuel mais collectif qu'ils pourraient
parvenir à la réalisation d'une transformation
du monde.
La troisième phase du travail d'Aurobindo et de la
Mère fut donc la création d'un ashram17 ouvert
à tous où pourrait s'effectuer un travail collectif,
une lutte collective pour nettoyer le subconscient. Ainsi,
dans l'ashram de Pondichéry, véritable laboratoire
du yoga supramental, la diversité de l'âme humaine
était représentée parce que la transformation
à laquelle Aurobindo et la Mère travaillaient
ne pouvait s'effectuer par un seul individu représentant
un ensemble de caractéristiques mais par un ensemble
d'hommes diversifiés pouvant représenter l'ensemble
des caractéristiques de l'âme humaine.
Aurobindo meurt le 5 décembre
1950 à l'âge de 78 ans mais avant il connaît
la joie de vivre l'indépendance de son pays. L'Inde
est libérée le 15 août 1947 et nous pouvons
nous demander si c'est par hasard que cette date correspondit
au jour anniversaire des soixante-quinze ans de Sri Aurobindo.
Aurobindo et l'autorisation noétique
Comme nous l'avions déjà
constaté en étudiant la vie de C.G. Jung et
celle de Krishnamurti, nous avons vu, en étudiant la
vie de Sri Aurobindo, que l'autorisation noétique n'a
pas été atteinte d'un seul coup, mais a constitué
un processus formé de transformations successives tout
au long de son existence. Les moments clés de la vie
d'Aurobindo sont relativement peu nombreux mais semblent avoir
été accompagnés de visions ou de flashes
existentiels soudains et révélateurs provoquant,
à chaque fois, une avancée menant à un
élargissement de la conscience.
Tout comme Jung et Krishnamurti, Aurobindo ne semble pas avoir
un jour été un homme "fermé"
ou endormi, c'est-à-dire quelqu'un de tellement enfermé
dans son habitus de classe, dans son conditionnement, qu'il
en perde la perception de son âme. Nous pouvons comparer
la conscience de soi de l'homme endormi à ce qu'Aurobindo
nomme le mental ordinaire ; c'est-à-dire un homme entièrement
prisonnier dans ses pensées et dominé par elles.
Un homme qui est encore très aux prises avec le vital,
c'est-à-dire avec l'état pulsionnel et instinctif.
Cet homme là n'a aucun contact avec son intériorité
et est complètement axé vers l'extérieur.
Il n'a aucune conscience qu'il n'est pas lui-même et
que son véritable être est recouvert des multiples
conditionnements qui le constituent. Aurobindo semble ne jamais
avoir appartenu à cette catégorie d'homme. Dès
l'enfance il est déjà à l'écoute
de son monde intérieur et influencé par lui.
A dix ans, sa première révélation lui
indique clairement ce qu'il va devenir. Pourquoi certains
hommes sont-ils plus ouverts dès l'enfance ? Il me
semble hasardeux de vouloir répondre à cette
question. Les points communs entre Aurobindo et les deux autres
sujets de notre étude est, premièrement, qu'ils
ont "baigné" dans un monde religieux dès
l'enfance.
Cette culture spirituelle les a peut-être aidés
à avoir très jeunes une vision du monde ne niant
pas l'irrationnel, le sacré et tout ce qui touche à
cette partie de l'être que l'on nomme l'âme. Deuxièmement,
ils ont tous les trois souffert d'une séparation d'avec
la mère ainsi que des conditionnements sociaux, familiaux
et culturels.
Dès son plus jeune âge,
Aurobindo nous apparaît donc comme un homme conscient
ou "éveillé", c'est-à-dire
ouvert à ce qu'il appelle le mental supérieur.
Il devient un homme illuminé, au moment de son retour
en Inde.
C'est l'instant d'un flash existentiel important durant lequel
il fait l'expérience de la conscience cosmique, d'une
certaine unité de lui-même avec le monde. Qu'est-ce
qui a provoqué ce moment de flash existentiel au moment
du retour d'Aurobindo en Inde ? On peut présumer que
ce retour était un moment extrêmement important
pour lui ; d'abord c'était revenir vers sa patrie et
on peut supposer tout l'imaginaire qu'il y avait derrière
cet acte.
Ensuite il y avait le projet existentiel de l'homme : libérer
l'Inde. Peut-être que l'émotion ressentie par
le jeune homme fut tellement forte qu'elle provoqua un certain
lâcher-prise du mental l'entraînant dans un état
proche de la transe ou un état modifié de la
conscience.
On sait qu'une très forte émotion ou un choc
important peut entraîner un changement d'état
de la conscience.18 Cette première transformation ou
ouverture provoque généralement une vision ou
une illumination et c'est bien ce que décrit Aurobindo
lorsqu'il dit avoir senti une très grande sérénité
descendre sur lui. Peu de temps après, à un
moment où il risque d'avoir un accident mortel, il
fait l'expérience d'une deuxième vision illuminatrice
provoquée par une "intuition" qui lui sauve
la vie.
Ces deux "chocs" ou "flashes" existentiels
sont certainement importants dans le processus d'autorisation
noétique d'Aurobindo et apparaissent comme une suite
logique de son évolution personnelle.
C'est parce qu'il est à l'écoute de sa vie intérieure
profonde qu'il peut entendre ce qui surgit au moment de ces
évènements importants, qui, chez d'autres personnes,
moins ouvertes, moins éveillées, seraient passés
complètement inaperçus. L'étude personnelle
et l'intérêt que porte Aurobindo au savoir, à
la tradition et aux textes sacrés vont venir renforcer
sa vision du monde et apporter une compréhension à
ce dont il fait l'expérience spontanément. Ici
nous voyons l'importance de la non séparabilité
du savoir et de la connaissance.
Intégrer une expérience vécue complètement
consiste sans doute aussi en une compréhension intellectuelle.
Les textes anciens vont venir confirmer ce qu'il vit et ceci
me semble très important dans le processus de l'autorisation
noétique. Quelqu'un vivant une expérience importante,
en est troublé, sil ne parvient pas à
la comprendre intellectuellement ne risque t-il pas d'être
"bloqué" dans son évolution ? La curiosité,
l'esprit de connaissance, le profond désir de savoir
sont probablement un argument important en faveur de l'évolution
de la conscience humaine et du processus de l'autorisation
noétique. Cette phase du processus d'évolution
de la conscience permettant à l'homme d'accéder
à ce qu'Aurobindo nomme le mental illuminé amène
le jeune homme à une émergence poétique
et artistique.
Il semble que cela corresponde à l'état de conscience
de tous les grands créateurs, poètes et artistes.
Une certaine libération de l'être se produit
avec l'émergence des visions, correspondant certainement
à l'accès aux symboles, aux mythes, à
ce que Jung a décrit comme archétypes numineux.
Après avoir eu accès aux visions symboliques
libérant une certaine compréhension du monde
s'accompagnant de l'éclosion des capacités créatrices,
Aurobindo accède à une nouvelle étape
qu'il nomme intuitive et qu'il considère appartenir
toujours à la catégorie de l'homme illuminé.
Cette nouvelle expérience il la faite en s'isolant
pendant quelques jours avec le Maître spirituel Lélé.
Que s'est-il passé exactement pendant ces trois jours
? Personne ne le saura jamais mais on peut supposer que quelque
chose "lâche", dans le mental d'Aurobindo.
Une acceptation de ce qui est, se manifestant par une compréhension
expérientielle et intellectuelle que les pensées
ne viennent pas de l'intérieur de nous-mêmes
mais de l'extérieur. Il semble que dans cette expérience
Aurobindo a vécu ce que les sages appellent le silence
intérieur. Il y a arrêt de la pensée,
du mental et l'être s'ouvre à une autre dimension,
il accède au Soi, il est relié à la conscience
cosmique et universelle, à Dieu.
C'est l'expérience suprême, l'état de
nirvana, la rencontre avec Dieu. Aurobindo, en accèdant
à cette fusion totale de lui-même avec le monde,
en acceptant cette reliance au monde, découvre que
le sens de l'ego disparaît. Dès lors son activité
ne prend plus sa source dans le mental mais dans quelque chose
qu'il laisse s'exprimer à travers lui et qui le guide.
Nous savons combien Krishnamurti avait accès à
cette source qui lui permettait de s'exprimer sans passer
par le "Je". Ceci semble correspondre à ce
qu'il nommait la vision pénétrante et qu'il
définissait comme un état pouvant provoquer
une modification des cellules du cerveau, une transformation.
L'autorisation noétique est-elle
atteinte dès lors que l'ego se dissout et que la conscience
est illuminée et intuitive ?
Les grands sages de tous temps semblent nous dire oui mais
Aurobindo affirme le contraire.
L'autorisation noétique n'est pas terminée lorsqu'on
atteint la réalisation suprême, c'est-à-dire
lorsque l'on accède au Soi, à la fusion totale
de l'être avec l'univers et à la dissolution
de l'ego.
Certes c'est sans doute un des degrés les plus hauts
de cette autorisation et bien peu d'hommes y accèdent
mais il semble que le sens profond de la vie ne s'arrête
pas là. Pour Aurobindo cette réalisation individuelle
est essentielle mais elle est "personnelle" et ne
permet pas de changer le monde. L'homme noétique est
donc quelque chose de plus que le sage perdu dans son extase
perpétuelle : il est un homme concret et rationnel
qui vit parmi les hommes, un homme qui oeuvre concrètement
dans le monde et non un sage qui se retire du monde.
L'homme noétique a une mission, quelque chose à
transmettre : il est un éducateur dans le sens où
le but de son existence est d'enseigner aux hommes ce dont
il a fait l'expérience. Nous retrouvons chez Aurobindo
cette nécessité de transmission tout comme nous
l'avons déjà vue chez Jung et chez Krishnamurti.
L'homme noétique a quelque chose à dire à
l'humanité, un message d'une portée universelle.
Cette dernière étape du processus, lorsqu'elle
se produit, est une "redescente" vers les réalités
concrètes du monde.
Il semble que l'emprisonnement et la rencontre avec la mort
aient poussé Aurobindo vers l'ultime réalisation
du mental intuitif et illuminé ; c'est cependant certainement
pendant cet isolement et cette confrontation avec la mort
qu'il découvrit l'étroite relation entre le
ciel et l'enfer, entre l'ombre et la lumière, entre
tout ce qui est opposé. L'accès au supramental
qui, pour nous, semble correspondre à l'autorisation
noétique achevée, est cette compréhension
que tout doit se rencontrer en un centre parfait. Nous retrouvons
ici l'idée des pôles opposés de Jung,
des tendances contraires, des extrêmités qui
se réunissent en un centre.
Pour Aurobindo, ce supramental c'est la descente de la lumière
dans les ténèbres, c'est la conscientisation
de la matière qui, seule, permettra une véritable
mutation de la conscience humaine.
>> Visualisation
du Tableau "AUROBINDO"
En examinant la vie des trois sujets
de recherche de cette étude : C.G. Jung, Krishnamurti
et Sri Aurobindo, nous avons pu dégager que l'autorisation
noétique est une auto-éducation de la personne
constituée d'une succession d'étapes permettant,
à chacune d'elles, des changements de niveaux de la
conscience.
Nous avons relevé quatre niveaux dévolution
de la conscience humaine :
Conscience fermée ou endormie
Il s'agit de la conscience ordinaire
de l'homme d'aujourd'hui. La personne est sous l'emprise de
ses conditionnements familiaux, de ses habitus sociaux et
sa personnalité est constituée des masques auxquels
elle s'identifie. L'individu fermé est entièrement
sous l'emprise de lego. La globalité de son être
est fragmentée en deux grands champs : ce dont il est
conscient et ce dont il n'est pas conscient.
Le conscient de l'homme endormi lui permet de s'intégrer
dans la société, d'y trouver une place et d'y
vivre d'une manière harmonieuse. Cependant cette vie
reste centrée sur l'accumulation ; l'homme endormi
pense que pour être heureux il doit acquérir
des savoirs, une place sociale, une famille et des biens extérieurs.
Cet homme de "paraître" est souvent très
attentif à l'image qu'on a de lui et tout le sens de
sa vie consiste à correspondre à ce que la société
exige de lui.
L'homme endormi reste cependant très prisonnier d'une
partie de lui-même, cest-à-dire de son
inconscient. Cet inconscient renferme sa véritable
personnalité, cachée derrière le voile
de l'ignorance qu'il a de lui-même et derrière
l'épaisse muraille des conditionnements.
Ainsi bien des comportements seront effectués sans
en avoir pleinement conscience et l'homme fermé tournera
ainsi toute sa vie dans une sphère close où
la seule évolution possible sera d'ouvrir son mental.
Conscience éveillée
ou élargie
C'est souvent par un "éveil"
brusque que l'homme fermé s'ouvre à une conscience
plus élargie. Quelque chose survient qui dévoile
l'essence profonde de l'être ; l'individu est comme
"saisi" ou "arraché" à ce
qu'il est et accède à autre chose, souvent incompréhensible
et indéfinissable mais qui l'ouvre.
Ces moments de "flash existentiel" correspondent
à un choc émotionnel, un accident, la disparition
d'un être cher, ..., mais il peut être aussi très
discret : l'émotion dans un regard que l'on croise
ou dans un paysage que l'on regarde....
En un instant quelque chose s'éclaire provoquant une
compréhension, un changement dans notre façon
de regarder le monde. Par cet éveil l'homme accède
à une meilleure compréhension de son existence,
sa conscience s'élargit. Il devient éveillé,
l'âme s'est dévoilée et il a fait l'expérience
unitaire de l'être.
L'autorisation noétique commence à cet instant
car un processus intérieur démarre, une poussée
interne qui conduit l'homme vers lui-même.
Bien des gens font l'expérience
de flashes existentiels, prennent conscience de leurs conflits
intérieurs, de leur souffrance mais restent englués
dans la conscience ordinaire de l'homme fermé.L'autorisation
noétique démarre lorsque l'homme fermé
prend conscience de l'unité de l'être, d'une
vie intérieure à lui-même et quand il
s'autorise à entreprendre une démarche de connaissance
de lui-même.
Dès que l'homme cherche à
se connaître il devient un chercheur et ses recherches
vont le mener vers une meilleure écoute de lui-même
et du monde. C'est souvent pendant cette investigation qu'il
va découvrir ses conditionnements, ses croyances, ses
masques sociaux, etc...
Cela correspond souvent à une demande d'aide et au
long travail de la cure psychanalytique. L'homme commence
à se confronter à son inconscient, cela l'ouvre
vers une conscience élargie. Il accède d'abord
à tout son imaginaire pulsionnel et social 19 et qui
correspond à ce que Jung nomme l'inconscient personnel,
puis, peu à peu, il touche à l'univers du mythe
et du symbole, à l'imaginaire sacral 20 ou à
ce que Jung nomme l'inconscient collectif.
Conscience illuminée,
créative, intuitive
En accédant à l'imaginaire
sacral la personne fait l'expérience du religieux et
ceci correspond souvent au surgissement de visions ou d'états
modifiés de la conscience. L'homme pénètre
alors dans le monde de la conscience illuminée, il
touche à ce que toutes les grandes religions ou philosophies
nomment illumination. L'homme perçoit alors son appartenance
à l'unité du monde.
L'homme qui atteint cette réalisation de conscience
illuminée est poussé de l'intérieur vers
lui-même, sa progression ne peut s'arrêter là,
le processus est en route. La créativité s'ouvre
et se libère.
Bien des créateurs sont parvenus ou ont perçu
cet état de la conscience illuminée et créative.
L'oeuvre jaillit de cet état de la conscience ; seule
la poésie peut exprimer ce dont on fait l'expérience
et qui surgit du silence. L'autorisation noétique n'est
pas achevée,elle pousse de l'intérieur, elle
permet l'avancée vers une conscience encore plus fine,
plus achevée. Une écoute dans laquelle notre
reliance à l'autre s'établit. Dans cette écoute
nous entrons en vibration avec l'autre et tout cela est au-delà
des mots et du langage.
Le chercheur spirituel accède à la conscience
intuitive et a accès à la vérité,
à la connaissance globale des choses par éclairs
révélateurs. L'homme est parfaitement éveillé,
ouvert, conscient de ses actes et de lui-même. Le plus
haut niveau de cette phase de conscience illuminée,
créative et intuitive, Aurobindo le nomme "surmental"
et correspond à la perception de ce quest l'état
de Nirvana des bouddhistes, la réalisation de la sagesse
au sens du yogi indien, cest-à-dire l'état
de samadhi. En accédant à l'état de samadhi,
l'homme s'ouvre à une conscience cosmique et fait l'expérience
de l'unité, de la lumière divine qui lui donne
une très grande force intérieure.
C'est un très haut degré
de réalisation où l'homme s'est transcendé
et a transcendé sa conscience. Aurobindo a défini
cette transcendance de la conscience comme l'accès
au supramental ou à la supraconscience. L'étape
suivante est beaucoup plus difficile et dangereuse, elle ne
consiste pas à rester dans cet état de plénitude
et de béatitude mais à utiliser cette lumière,
cette force et cette connaissance intérieures pour
vaincre les ténèbres en nous-mêmes et
ainsi avoir une action positive sur le monde. Atteindre un
très haut degré de réalisation spirituel
est possible grâce à la connaissance de soi ou
par toutes techniques dites spirituelles ou religieuses (yoga,
zen, chamanisme, ....). Tout n'est cependant pas réglé
et la connaissance absolue n'est pas atteinte. Le monde est
un tout construit sur une vision dualiste produisant des polarités
: ciel/terre - lumière/ténèbres - connaissance/ignorance,
etc....
Ainsi atteindre la lumière, accéder au principe
céleste et à la connaissance ne signifie pas
que nous avons fait face à l'autre partie de la polarité.
L'homme vit sur la terre et doit bien s'intéresser
à cette matière associée aux ténèbres
et à l'ignorance. Il s'agit ici d'aller se confronter
aux forces du mal, aux forces les plus obscures, les plus
instinctuelles en nous-mêmes et dont nous sommes porteurs.
Ainsi démarre la véritable confrontation avec
l'inconscient de Jung, le processus de Krishnamurti et la
descente d'Aurobindo. Après avoir fait l'expérience
des sommets et des états d'extase, l'homme se trouve
devant un choix : il peut rester sur ces sommets, la tête
perdue dans les nuages ou choisir de redescendre car sa place
est dans le monde et sur la terre. Redescendre c'est affronter
réellement la réalité et découvrir
que l'essence profonde de l'homme n'est pas seulement bonne
mais qu'elle est aussi mauvaise et destructrice.
Cette étape de lautorisation noétique
est certainement la plus difficile car il nous faut affronter
l'horreur du monde dans lequel de grands dangers guettent.
Il s'agit ici d'un travail de transformation, de mutation
et d'évolution de la conscience : il faut transcender
la dualité afin de réunir en un centre harmonieux
les polarités. Le chercheur ne peut accéder
à ce centre en lui-même et qui le relie à
l'énergie cosmique sans un certain abandon, une certaine
acceptation de tout ce qui est.
Cela suppose un renoncement, un non attachement et une conscience
d'instant en instant, une attention constante à ce
qui est. Dans la réunion des contraires l'homme accède
à sa plus haute réalisation, et devient un homme
relié au monde. Dans ce processus de transformation,
l'ego, la notion d'une conscience personnelle disparaît.
L'homme noétique
L'homme noétique est donc
celui qui a fait l'expérience du non-Soi après
avoir fait lexpérience du Soi (non-dualité,
totalité) ; il meurt au Moi (dualité, séparativité)
et découvre une autre dimension difficile à
décrire avec des mots.
Il y a réunification des contraires, l'homme n'est
plus ni dans la dualité ni dans l'unité, il
est au centre d'un troisième terme paradoxal qui inclut
à la fois l'unité et la dualité. Il est
à la fois la dualité et l'unité, fait
l'expérience de la globalité, de la complexité
et accède à la connaissance.
Education et autorisation noétique
L'autorisation noétique prend
tout son sens lorsqu'on la place dans le cadre de l'éducation.
L'éducation c'est permettre au processus interne de
la fonction noétique de progresser sans cesse vers
une ouverture de la conscience afin que l'être humain
puisse atteindre son plus haut degré de réalisation.
Tout l'enseignement de Krishnamurti nous explique que l'éveil
de l'intelligence c'est l'éveil de la conscience, que
cet éveil peut se produire grâce à l'attention
qu'il définit comme l'écoute de ce qui est,
dans l'instant présent, en mettant en jeu tout son
être, toutes ses aptitudes, toute son attention, au
delà des jugements, des croyances et des conditionnements.
Il s'agit donc de laisser la place
à la connaissance de soi dans l'éducation afin
de dégager, dans un premier temps, les conditionnements
dont nous sommes tous prisonniers. Krishnamurti nous propose
ici de nous questionner : l'éducation actuelle permet-elle
un tel cheminement vers la connaissance de soi ?
Permet t-elle de progresser vers une meilleure conscience
de soi et vers une ouverture de la conscience ? Mène
t-elle l'individu vers son plus haut degré de réalisation
?
Si nous observons ces questions avec attention, nous les verrons
clairement et cette clarté nous donnera la réponse.
Mais une autre question surgit qu'il nous faut encore examiner
avec attention : les éducateurs actuels sont-ils capables
de transmettre une telle éducation ?
Leur formation leur a t-elle permis d'accéder à
la plus haute réalisation deux-mêmes ?
Ont-ils cheminé vers la connaissance de soi, vers un
niveau de conscience plus élevé ?
C.G. Jung nous prévient qu'une
telle progression est difficile et que l'homme résiste
à aller vers une meilleure connaissance de lui-même
; cela l'oblige à renoncer à ses croyances,
à ses illusions. Si, pour accéder à une
éducation dont le but serait de progresser vers l'autorisation
noétique, il est nécessaire d'éduquer
d'abord des enseignants qui vont résister à
aller vers l'inconnu en eux-mêmes, la tâche semble
extrêmement ardue. Il apparaît cependant impossible
de progresser sans en passer par un travail de connaissance
de soi des éducateurs et futurs enseignants.
C.G. Jung nous dit encore combien il est dangereux de transmettre
lorsqu'on n'a pas effectué ce travail sur soi-même.
"Une souffrance névrotique est en somme une duperie
inconsciente qui n'a pas la valeur morale de celle qui résulte
de la réalité des choses. Mais, outre la production
de la névrose, la cause refoulée de la souffrance
a encore d'autres effets : elle rayonne secrètement
sur l'entourage et, quand il y a des enfants, elle les contamine"21.
On comprend pourquoi Krishnamurti insiste tant dans son enseignement
sur le déconditionnement et la connaissance de soi.
Tout le problème de la transmission se pose ici : on
transmet ce que lon est. Plus l'éducateur a atteint
un niveau de conscience élevée et plus il pourra
transmettre l'autorisation noétique.
Conclusion
Nous sommes partis de l'hypothèse
que la connaissance de soi définie comme la possibilité,
pour un individu, d'entrer dans un processus d'évolution
de sa structure psychologique, le menant à un élargissement
de la conscience et lui permettant d'accéder à
une meilleure compréhension de lui-même et du
monde, peut également conduire l'homme vers la spiritualité.
Nous avions proposé de définir la spiritualité
comme un processus de transcendance de soi débouchant
sur l'autorisation à devenir auteur et créateur
de son existence afin d'atteindre le plus haut degré
de réalisation expérimenté dans l'histoire
humaine : le dépassement des limites de l'ego. Nous
avons nommé ce processus de réalisation de soi,
l'autorisation noétique.
C'est en étudiant trois
"auteurs" au sens qu'ils sont reconnus socialement
comme ayant atteint un très haut niveau de réalisation
d'eux-mêmes et comme ayant transcendé les limites
de leur ego, que nous avons essayé de découvrir
comment l'homme peut parvenir à un élargissement
de sa conscience ainsi qu'à une ouverture vers le sacré
et le spirituel. Après avoir démontré,
à partir de l'histoire de vie de C.G. Jung, Krishnamurti
et Sri Aurobindo, que l'homme, pour se connaître, doit
se débarrasser de ses conditionnements, de ses préjugés
et de ses illusions, nous avons pu constater que le processus
d'autorisation menant à l'élargissement de la
conscience est lié à la reconnaissance de l'altération22
comme valeur positive et à la transgression23.
En effet, dans la chronologie de la vie, la personne en train
de se faire est en quête de son identité propre
et ne se contente pas d'une identité imposée
par la famille, la culture et l'environnement. C'est à
partir du conflit entre la quête de son identité
propre et l'identité donnée ou imposée
que l'altération et la transgression des valeurs reçues
peuvent se produire et conduire l'homme vers l'autorisation
à devenir auteur et créateur de son existence.
Nous avons vu, ensuite, que cette autorisation caractérisait
l'entrée de l'individu dans un processus d'évolution
inachevée dont nous avons pu dégager plusieurs
moments importants :
1) l'homme
conditionné, ne se connaissant pas lui-même et
sous l'emprise de son inconscient, prend conscience de ses
conflits intérieurs et de sa souffrance. Cette prise
de conscience, souvent provoquée par un flash existentiel
ou un choc psychologique, l'éveille à une remise
en cause fondamentale de ce qu'il connaît et provoque
un questionnement existentiel, une quête de compréhension
de soi et du sens de sa vie. L'homme s'éveille ainsi
à une conscience élargie.
2) L'homme
conscient engage un travail de connaissance de lui-même
le conduisant à se déconditionner et à
devenir autonome en accèdant à ses propres règles
de fonctionnement. C'est l'autonomie, comme accès à
ses propres règles, qui va produire un changement de
la personne et permettre l'autorisation, c'est-à-dire
l'entrée dans le processus d'évolution conduisant
l'individu vers l'accès à un niveau de conscience
supérieur. Cette première étape de la
connaissance de soi correspond souvent au travail psychanalytique
durant lequel l'homme commence à établir un
contact avec son inconscient.
3) Le
processus d'évolution correspond à quelque chose
en train de se faire, il suppose un mouvement menant à
une transformation ou à une succession de transformations.
L'homme, dans son premier travail sur lui-même, accède
d'abord à son imaginaire pulsionnel et social, c'est-à-dire
à son inconscient personnel, ce qui provoque une première
transformation et l'accès à un niveau de conscience
supérieur.
En continuant son travail de confrontation
avec l'inconscient, il accède ensuite à l'inconscient
collectif et rencontre alors l'univers du mythe, du symbole
qui le conduit vers l'imaginaire sacral.
La conscience semble alors s'élargir encore pour devenir
illuminée, créative et intuitive. Ces nouvelles
transformations semblent se produire différemment suivant
les individus. Elles peuvent s'effectuer parallèlement
et dans un même mouvement ou suivre un ordre allant
des visions et des illuminations vers un état créatif
et poétique puis vers une conscience intuitive.
Il est essentiel néanmoins de bien préciser
que si ce processus apparaît identique à tout
mouvement d'apprentissage il se situe cependant dans une sphère
différente que celle connue et reconnue dans le monde
scientifique et rationnel actuel. Le noétique suppose
la reconnaissance et l'acceptation de l'Esprit, c'est-à-dire
d'une force d'énergie créatrice comme principe
supérieur et organisateur de la structure hiérarchisée
et trinitaire de l'homme qui comprend le corps-l'âme
(psyché) et l'Esprit.
L'achèvement de cette phase d'ouverture vers un nouveau
niveau de conscience se produit par l'expérience de
l'unité, de la non-séparativité, de la
non-dualité et de la conscience cosmique. L'homme se
sent, par instant, relié au monde et accède
à la vérité par éclairs révélateurs.
Il semble que parallèlement
à cette ascendance vers des états supérieurs
de la conscience et vers la lumière, conduisant à
une très grande force intérieure et à
la connaissance, l'homme désirant progresser encore,
soit amené à faire face à l'autre aspect
du monde, l'autre polarité de la vie : l'ombre et les
ténèbres. Par ce travail de descente vers les
forces obscures du monde, l'homme se confronte à l'inconscient
collectif, ce qui n'est pas sans danger. Un travail de transformation,
de mutation et d'évolution de la conscience humaine
est en cours.
4) Par
la reconnaissance et l'intégration des opposés
l'homme transcende la dualité, provoquant ainsi la
réunion des contraires en un centre harmonieux et équilibré.
Il n'est plus alors ni dans la dualité (le Moi), ni
dans la non dualité (le Soi) mais au-delà de
cela (unidualité). Dans la réunion des polarités
en un centre l'homme accède à la plus haute
réalisation expérimentée dans l'histoire
humaine et dépasse les limites de l'ego. L'homme noétique
correspond à l'expérience du non soi, il est
à la fois l'unité et la complexité et
accède à la connaissance suprême. "Prajnânâs
insiste à la fois sur la singularité de chaque
chose et sur l'unité de toutes (tout est différent,
rien n'est séparé)". 24
Cette progression vers la réalisation
de soi, vers l'autorisation noétique, semble entrer
dans une démarche gradualiste, c'est-à-dire
qui prend du temps, correspondant à une méthode
de connaissance de soi ouvrant peu à peu vers l'évolution
de la conscience humaine. Pourtant, paradoxalement, l'évolution
de la conscience ne peut s'effectuer par accumulation de connaissances,
elle se produit par l'expérience soudaine nous arrachant
à l'état précédent où nous
étions fixés.
Au fil de notre recherche nous avons
découvert qu'un certain nombre de caractéristiques
accompagnaient le processus de l'autorisation noétique
chez chacun des sujets étudiés.
Ces caractéristiques sont les suivantes :
- la souffrance, les conflits intérieurs,
le désespoir,
- la solitude, l'isolement intérieur,
- les flashes existentiels,
- les rencontres et les événements ontologiques,
- la recherche du sens de la vie, le questionnement, les doutes,
- une rupture, une séparation,
- la connaissance de soi, le déconditionnement, l'arrachement
aux habitudes, l'affrontement avec l'inconnu, le renoncement
aux croyances et aux illusions,
- la rigueur, la persévérance, le courage,
- la reconnaissance et l'écoute du monde intérieur,
- la reconnaissance de l'importance de l'imaginaire,
- la reconnaissance de ses limites, le renoncement au désir
de toute puissance,
- la rencontre avec le réel,
- l'émergence du sacré, l'ouverture spirituelle,
- les visions illuminatrices, la rencontre avec les archétypes
(symboles, mythes...)
- Le développement de la créativité et
de l'intuition,
- la confrontation avec les démons et les monstres
intérieurs,
- le sentiment d'unité, le développement d'une
conscience cosmique
- l'attention, l'écoute
- l'acceptation,
- le renoncement, l'abandon de soi,
- la mort symbolique,
- la réunion des opposés en un centre
Nous ne pouvons, au terme de cette
recherche, affirmer que ces caractéristiques sont indispensables
au processus de l'autorisation noétique. Nous pouvons
simplement constater qu'elles sont communes à l'histoire
de vie des trois personnes étudiées. Par ailleurs,
si l'autorisation, dans le cadre de l'éducation, est
définie comme "la capacité, pour chacun,
de devenir son propre co-auteur" et constitue "une
des visées, une des finalités de tout projet
pédagogique"25, nous pouvons affirmer que l'autorisation
noétique dépasse cette première approche
dans la mesure où elle prend en compte la totalité
de l'être : corps-âme-esprit, ce qui n'est pas
encore le cas des projets éducatifs occidentaux actuels.
Si l'évolution la plus achevée d'un être
humain suppose l'accès au processus de l'autorisation
noétique, elle pose également le problème
de la transmission : comment les éducateurs actuels
pourraient-ils transmettre ce que la plupart d'entre eux semblent
ignorer ? Pourtant, nous avons pu mettre en évidence
au cours de ce travail que l'accès à une conscience
supérieure menait également à un sentiment
de reliance, d'unité et donc à une conscience
universelle.
Chacun des objets de la recherche, à la suite de sa
transformation intérieure, s'est senti responsable
du monde, concerné par l'éducation des hommes,
et a tenté de transmettre ce dont il avait fait l'expérience.
Leur message semble clair : si nous désirons cheminer
vers une évolution de la conscience humaine, l'éducation
ne doit plus reposer sur une accumulation du savoir, sur la
scientificité rationnelle et séparatrice et
sur la compétitivité, mais s'établir
sur le plein épanouissement de l'être humain,
ce qui suppose la réhabilitation de la dimension spirituelle,
l'écoute du non rationnel et de la subjectivité
dans une vision du monde considérant l'homme comme
une totalité (corps-âme-esprit), et relié
à l'unité du monde.
Un tel processus apparaît donc accessible seulement
à celui qui se soumet à la force spirituelle
transfortmatrice de la conscience qu'il découvre au
fil de son évolution ou soudainement lors d'un flash.
Une telle éducation présume également
que l'enseignant ait lui-même cheminé vers l'évolution
de sa conscience pour qu'il puisse devenir un médiateur
entre le savoir et la connaissance dans le but de transmettre,
non seulement ce qu'il a appris, mais aussi ce dont il a fait
l'expérience, c'est-à-dire ce qu'il est.
Les caractéristiques de l'homme
noétique, commune aux trois objets de la recherche
et qui sont le signe de leur épanouissement sont :
- la paix avec soi-même
et le monde,
- une joie constante et sans objet,
- une grande capacité créatrice,
- une acceptation totale de ce qui est,
- une grande qualité d'écoute,
- une absence de ressentiment,
- une complète autonomie,
- une grande rigueur et de la fermeté,
- le sens de la responsabilité,
- la conscience d'être relié et le besoin de
transmettre ce dont ils ont fait l'expérience,
- une compréhension du sens de la vie et du monde.
Ces qualités apparaissant
également chez d'autres êtres ayant atteint un
haut niveau de conscience26 sont axées sur l'épanouissement
de l'être et non sur la performance et le paraître.
Sans nier l'importance du savoir et des sciences actuelles,
n'est-il pas urgent de s'interroger sérieusement sur
la reconnaissance de la fonction noétique dans léducation
et sur ses possibilités de permettre un certain progrès,
une certaine ouverture de la conscience humaine ?
Il ne s'agit pas ici de proposer
une éducation essentiellement spiritualiste mais de
réfléchir à une éducation prenant
toutes les dimensions de l'être humain en considération
: le corps (soma) - l'âme (psyhé) - l'esprit
(noùs).
Notes :
1 - "La
spiritualité c'est la conduite juste, et non la croyance
en des superstitions, qu'elles soient modernes ou anciennes."
André Compte-Sponville, De l'autre côté
du désespoir, introduction à la pensée
de Swami Prajnânpad, Paris, 1997, Editions Accarias
l'Originel, p. 16.
2 -
Le mot noétique provient de Noùs qui signigie
l'esprit et de noèse (du grec noêsis) qui signifie
l'acte par lequel on pense. Le noème est ce que l'on
pense. Noétique, du grec noétikos, se rapporte
donc à ce qui est du domaine de la pensée et
de l'esprit.
3 - Le
mandala est un cercle dans lequel figure des dessins géométriques.
En Orient le mandala est un support à la méditation.
Les mandalas existent cependant également dans tous
les pays du monde et expriment le symbole du centre, de l'ordre
universel et des puissances divines. Tout mandala, toute vie,
sont issus du centre unique, de l'unité (Dieu pourrait-on
dire) et, de là, se déploient dans le monde
de la manifestation. Pour Jung, le mandala représente
le centre de la personnalité en tant que totalité
psychique. Il est l'auto-représentation d'un processus
psychique de centrage de la personnalité, production
d'un centre nouveau de celle-ci. C'est l'illustration du processus
d'individuation jungien.
4 - Les
phénomènes de "sortie hors du corps"
physique ont été décrits par l'expérience
des yogis lorsqu'ils entrent en état de samadhi, voir
à ce sujet le livre de Gopi Krishna, Kundalini, les
secrets du yoga, aux éditions Calmann-Levy ou le livre
de Mircea Eliade, Le yoga, Immortalité et liberté,
aux éditions Payot. On peut lire dans cet ouvrage,
à la page 325 : "L'ascension au Ciel et le vol
magique sont chargés d'un symbolisme extrêmement
complexe, ayant trait surtout à l'âme et à
l'intelligence humaine.
Le "vol" traduit parfois l'intelligence, la compréhension
des choses secrètes ou des vérités métaphysiques.
"L'intelligence (mana) est le plus rapide des oiseaux",
dit le Rig Veda (VI, 9, 5). Et le Pancavimça Brâhmana
(XIV, 1, 13) précise : "celui qui comprend a des
ailes". On sait que chez de nombreux peuples l'âme
est conçue comme un oiseau. Le "vol magique"
prend la valeur d'une "sortie du corps", c'est-à-dire
il traduit plastiquement l'extase, la délivrance de
l'âme.
Mais tandis que la plupart des humains se transforment en
oiseaux seulement au moment de leur mort, lorsqu'ils abandonnent
leurs corps et s'envolent dans les airs - les chamans, les
sorciers,les extatiques de toute sorte réalisent ici-bas
et autant de fois qu'ils le désirent la "sortie
du corps".
Ce mythe de l'âme-oiseau contient en germe toute une
métaphysique de l'autonomie et de la liberté
spirituelles de l'homme". Cette notion de "sortie
hors du corps" a également été abordée
dans le livre de Patrice Van Eersel , La Source Noire, Éditions
Grasset et Fasquelle, 1986, ainsi que dans les travaux d'Elisabeth
Kübler-Ross sur les "near death experimentations"
(NDE), c'est-à-dire les expériences de ceux
qui ont frôlé la mort de très près.
5 - Le
brahmane, en Inde, est le membre de la caste chargée
de l'enseignement traditionnel.
6 - Charles
Webster Leadbeater est un membre dirigeant de la société
Théosophique et est considéré comme clairvoyant
au sein de la société.
7 - L'état
de Samadhi est l'étape finale de la philosophie du
Yoga. C'est la pure contemplation résultant des règles
et exercices, de la concentration et de la méditation
et de la non identification au corps. Le mot Samadhi signifie
union, totalité, concentration totale de l'esprit.
Samadhi c'est la mort du mental, le sujet n'existe plus et
se fond dans le soi. Mircea Eliade définit l'état
de samadhi de la manière suivante : dans cette méditation,
la pensée est délivrée de la présence
du moi, car l'acte cognitif "je connais cet objet"
ou "cet objet est à moi" ne se produit plus
; c'est la pensée qui est (devient) cet objet.
8 - Le
camp d'Ommen est un lieu où la Société
Théosophique se réunit annuellement pour diffuser
son enseignement et faire connaître Krishnamurti.
9 - La
kundalini, selon la philosophie du yoga, consiste en l'éveil
de centres énergétiques du corps humains. La
kundalini ou feu du serpent, est le centre principal de l'énergie,
situé à la base de la colonne vertébrale.
Lors de l'éveil de la kundalini une énorme force
énergétique est libérée, monte
le long de la colonne vertébrale jusqu'au sommet de
la tête en brûlant toutes les impuretés
restant dans les centres énergétiques (chakras)
et permettant d'accéder à l'état de samadhi,
c'est-à-dire de faire l'expérience de l'unité
cosmique.
10 - Combinaison
de mots ou de sons ayant une signification et un pouvoir spirituels.
11 - Edgar
Morin, Introduction à la pensée complexe, 1990,
Paris, ESF.
12 - Pondichéry
était à cette période un comptoir colonial
français. Ainsi, en passant en zone française,
il espérait échapper aux persécutions
des Britanniques.
13 - Sri
Aurobindo, Savitri, Pondichéry, Inde, Editions Europress.
14 - Les
quatre Véda sont des grands textes sacrés indiens.
15 - Pour
Aurobindo la partie de notre nature dont nous sommes normalement
conscients à l'état de veille est notre personnalité
de surface, constituée du corps, du vital qui est fait
des instincts, des passions, des désirs, etc... et
du mental qui comprend les facultés d'intelligence,
de mémoire, de volonté, d'imagination, de raison,
etc... Cependant, derrière cette conscience superficielle
existe une conscience plus profonde, beaucoup plus vaste et
plus puissante. Dans cette conscience cachée, qui nous
influence et nous gouverne à notre insu, Sri Aurobindo
distingue trois régions : le subconscient qui contient,
en puissance, toutes les réactions primitives de la
vie et qui conserve l'impression de nos expériences
passées.
Ces impressions peuvent à
tout moment remonter sous forme de rêves, de répétitions
mécaniques, de complexes qui explosent en actions ou
en évènements. La deuxième région
de cette partie cachée, ce qu'il nomme le subliminal,
comprend, derrière le mental et le vital conscients,
un mental et un vital intérieurs plus vastes et plus
puissants et derrière le corps de surface une conscience
physique plus subtile et plus libre. Ce subliminal s'ouvre,
au-dessous, aux régions subconscientes et au-dessus
à des régions supraconscientes.
Le surconscient ou surmental est donc la troisième
région de l'inconscient et comprend certaines zones
du mental dont l'homme ordinaire n'est pas normalement conscient
et qui est la source des intuitions et des inspirations supérieures,
puis, il y a ce qu'Aurobindo nomme le supramental et ce qui
est au-dessus.
16 - Le
subconscient est la partie cachée de l'individu (l'inconscient)
contenant, en puissance, toutes les réactions primitives
de la vie. Il conserve aussi l'impression des expériences
passées de l'individu. Ainsi le subconscient d'Aurobindo
contient deux parties : l'une appartient à l'histoire
personnelle de l'individu et est constituée de tout
ce que sa conscience a oublié ou refoulé et
l'autre appartient à l'humanité, est collective
et contient tous les résidus et toutes les forces qui
ont présidé à l'évolution humaine.
Ces forces ne sont pas des forces passives mais actives qui
continuent à vivre dans les profondeurs cachées
de notre être et de nous influencer.
17 - Un
ashram est un lieu communautaire dans lequel vivent des disciples
autour d'un maître spirituel. C'est un centre d'étude
et de méditation. Il faut cependant noter que l'ashram
de Sri Aurobindo n'a rien à voir avec cette définition.
Satprem le définit non comme un lieu de paix mais comme
une forge : "Ce n'est pas une sorte de couvent exotique,
encore moins un lieu de refuge et de paix ; c'est plutôt
une forge" et Aurobindo dira de son ashram "Ce n'est
pas pour le renoncement au monde que cet ashram a été
créé, mais comme un centre ou un terrain d'expérience
pour l'évolution d'une nouvelle forme de vie " .
Il pensait que c'est dans la vie ordinaire que la vie spirituelle
peut trouver son expression la plus puissante et non dans
le renoncement au monde. "C'est par l'union de la vie
intérieure et de la vie extérieure que l'humanité
sera finalement soulevée et qu'elle deviendra puissante
et divine". L'ashram d'Aurobindo n'est donc pas un lieu
de détachement de la vie mais bien au contraire un
endroit où l'on mélange à la fois la
vie ordinaire, les métiers, les nationalités,
lesadultes et les enfants et où l'on ne cherche pas
à apprendre quelque chose mais plutôt à
désapprendre. Contrairement aux autres ashram, à
Pondichéry il n'y a pas de règles et le disciple
doit trouver la vérité en lui-même au
beau milieu d'une vie extérieure active.
18 - Les
rituels de passage effectués dans les sociétés
primitives consistaient à provoquer un changement d'état
de la conscience du jeune initié. Pour cela on le mettait
dans une situation provoquant soit une transe, par la prise
de drogue ou en lui faisant effectuer des gestes et émettre
des sons répétés, soit une forte émotion
en le mettant dans une situation de danger ou d'épreuves
auxquelles il devait faire face.
L'affrontement d'un réel intolérable ou le changement
d'état de conscience provoqué par la drogue
permettait, en principe, d'accéder à une ouverture
de la conscience, à une autre compréhension
du monde et de la vie. Voir à ce sujet le livre de
Mircéa Eliade "Initiation, rites, sociétés
secrètes, naissances mystiques" Paris, 1959, Editions
Gallimard.
D'autres travaux ont montré que certaines situations
émotionnelles importantes : rencontre avec la mort,
accident, peur, joie intense, orgasme, etc.... pouvaient conduire
à une modification de la conscience et provoquer des
visions, des illuminations ou, plus simplement, des flashes
existentiels.
Voir à ce propos
les ouvrages de Stanislas Grof, les travaux d'Abraham Maslow
et ceux de Marc-Alain Descamps sur les expériences
transpersonnelles.
19 - René
Barbier, L'approche transversale. L'écoute sensible
en sciences humaines, Paris, 1997, Anthropos. Pour René
Barbier "L'imaginaire pulsionnel renvoie à la
problématique de la psyché/soma individuelle,
à sa dynamique pulsionnelle et à ses mécanismes
de défense", tandis que l'imaginaire social est
défini comme "un magma de significations sociales
à caractère imaginaire dont la production ne
se réfère pas à une ou plusieurs élaborations
psychiques individuelles ni même de groupes ou d'organisations.
Pour le comprendre nous devons nous placer d'emblée
dans une perspective sociétale. "
20 - L'imaginaire
sacral, défini par René Barbier, est constitué
de tout ce qui touche à la dimension sacrée
et qui se manifeste dans la psyché humaine sous forme
de symboles, de mythes ou d'archétypes porteurs d'une
force énergétique pouvant conduire l'homme à
une connaissance du monde et de lui-même.
21 - C.G.
Jung, Psychologie et éducation, Paris, 1963, Editions
Buchet/Chastel, p. 32.
22 - "L'altération
non comme dégradation ou entropie mais comme neg-entropie
ou enrichissement". Voir le texte de Jacques Ardoino
"L'intervention : imaginaire du changement ou changement
de l'imaginaire", 1979, p. 20. Ce concept développé
par Jacques Ardoino présente l'altération non
comme une dégradation de la personne mais comme un
processus de changement permettant de devenir autre et comme
condition pour accéder à l'autorisation.
23 - Les
Sciences de l'éducation de l'université Paris
8 énoncent un tel principe intellectuel ; le chercheur
s'interroge sur l'application expérientielle et concrète
de ce concept qui semble s'appliquer tant que les recherches
effectuées restent dans le cadre dit scientifique et
qui repose sur la dualité.
Avec la question de la spiritualité c'est toute la
définition des sciences de l'éducation qui se
pose : doivent-elles nier certains aspects de l'être
humain alors qu'elles prônent la multiréférentialité
ou doivent-elles s'ouvrir à tous les aspects de la
vie et à tout ce qui peut conduire à l'épanouissement
de 'être ?
Avec le questionnement sur le spirituel, la multiréférentialité
est même dépassée car elle nous conduit
vers la transdiciplinarité (Basarab Nicolescu), au
transpersonnel (Marc-Alain Descamps), au transversal, (René
Barbier) et à tout ce qui transcende l'homme. Le petit
Robert définit l'éducation comme la mise en
oeuvre des moyens propres à assurer la formation et
le développement d'un être humain.
Si la dimension spirituelle constitue un des moyens de formation
et de développement de la personne pourquoi le nier
? Pourquoi ne pas s'interroger sur la place d'un tel champ
disciplinaire au sein de l'éducation ?
Il ne s'agit pas ici de rejeter le savoir et la science mais
de trouver l'équilibre entre le savoir et la connaissance,
entre l'objectivité et la subjectivité, entre
le rationnel et l'irrationnel, entre l'imaginaire et le réel.
24 - André
Compte-Sponville, De l'autre côté du désespoir,
introduction à la pensé de Swami Prajnânpad,
Paris, 1997, Editions Accarias l'Originel, p. 78.
25 - Jacques
Ardoino et Guy Berger, "Les sciences de l'éducation
: analyseurs paradoxaux des autres sciences ?" p. 48.
26 - Rudomf
Steiner, Ramana Maharshi, Swâmi Prajnânpad, Tierno
Bokar, Jésus, Bouddha, etc...
"L'autorisation noétique"
par Joëlle Macrez
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